Quand Göring, ministre du Reich, visita le Louvre avec l’idée bien arrêtée de le piller, il s’arrêta net devant la célèbre peinture de François Boucher (1703-1770) – dont le modèle, avait glissé un chroniqueur d’alors, s’était révélée la « plus rouée des catins » – et s’exclama : « C’est ça, la France ». Le conservateur général mena alors le nazi obèse devant une scène guerrière du baron Gros et lui répliqua : « C’est ça aussi, la France ».
Pour autant, François Boucher semble résumer un certain art de vivre à la française et notamment, le rôle qu’y tint le lit au dix-huitième siècle. La première chose que l’on oublie, et qui pourtant ne date pas du siècle de Louis XV, c’est la position du corps dans le lit.
On ne sait pas précisément la date retenue pour la position horizontale dans laquelle la plupart d’entre nous dormons, mais une certitude demeure : durant des siècles, l’usage et les enseignements des doctes exigeaient que l’on demeure, assis, bloqué par traversins, oreillers et autres polochons. Le sommeil venant, le dormeur glissait et se retrouvait dans une position ne sollicitant plus les vertèbres dorsales, mi-assis, mi-vautré. Pourquoi de tels préceptes ? La raison nous refroidit à sa seule idée. N’étaient allongés que les morts.
Les vivants se considéraient en état de veille dans ce large fauteuil, encombré de coussins et édredons de toutes sortes, dont les deux montants, de part et d’autre, les deux accoudoirs pourrait-on dire, rembourrés et doux, permettait de se blottir, dans l’angle formé par le mur avec le lit. Le peintre Fragonard (1732-1806) avait, dans l’érotique tableau « Le verrou », parfaitement résumé les « derniers instants avant la chute », chute voilée, enveloppée par d’amples rideaux. Des rideaux de velours cramoisi qui prenaient leur source dans un baldaquin et de solides patères. On l’oublie souvent, nombre de chambres n’étaient pas chauffées. Du moins les sujets de Fragonard contribuaient-ils à en tiédir voire enflammer l’atmosphère…
François Boucher, peintre de la marquise de Pompadour, avait longtemps préféré ces matelas superposés à l’architecture des lits de cour, a fortiori les roides couches bretonnes, dont nous reparlerons un jour. Mais celui dont on ne prononce le nom qu’avec, immédiatement, une moue de réprobation, un geste réflexe de recul, fut un des meilleurs dessinateurs de lits. Dans « Justine ou les malheurs de la vertu », Donatien-Alphonse-François de Sade, le « divin marquis » rappelle un des accessoires du lit, l’estrade : « Armande, qui était une créature fort douce, me baisa (m’embrassa) en versant quelques larmes, puis se remit à battre l’estrade, autour du lit de ce roué. » Les accessoires de ce lieu, ce lit où certains dorment, disent assez que dans ce temple du sommeil peuvent coexister divers cultes. On y accède par une, voire deux marches.
Et un maelstrom de sentiments, de sensations.
Jean-Philippe de Garate