C’est un énorme raté de la presse française. Enorme de talent, de joie, de vie comme l’était Alexandre Dumas. Mort il y a cent cinquante ans, le 5 décembre 1870, les médias auraient pu rivaliser de dossiers spéciaux consacrés au grand, à l’immense, au dionysiaque auteur des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo et d’une œuvre monumentale dont pourtant les journaux de l’époque ont fait leurs choux gras. Opinion Internationale ne l’oublie pas ! Dossier en trois articles : Alexandre Dumas, Dieppe, la mer, 1870. Chronique pour la nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate André Bellon : « Alexandre Dumas oublié ? Il était tant aimé des Français » Alexandre Dumas, plus qu’un auteur, un homme, humain et humaniste
Marseillais (oui, c’est important), polytechnicien, haut fonctionnaire, administrateur de l’Insee, député des Alpes-de-Haute-Provence de 1981 à 1993 et président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale au début des années 1990, on ne la lui raconte pas. André Bellon pourtant ne demande que ça quand à la plume se trouve Alexandre Dumas.
Et cela, depuis l’âge de quatorze ans. Son père avait auparavant essayé de lui insuffler l’amour du livre en lui offrant un voyage avec Jules Verne Vingt Mille Lieues sous les mers. En vain. Il fit une nouvelle tentative avec Alexandre Dumas et Le Comte de Monte-Cristo. Bonne pioche. André Bellon, adolescent, fut conquis. Son admiration pour l’auteur ne se démentira jamais, ni sa passion pour la lecture.
Au point que lorsque, aujourd’hui, je lui pose la question classique : « Si vous deviez choisir un seul livre à emporter sur une île déserte, quel serait-il ? », il me répond sans hésiter : « Le Comte de Monte-Cristo. Pourtant je le connais pratiquement par cœur. »
Ainsi n’est-ce pas le philosophe, écrivain ou politicien, que nous avons interviewé pour vous, mais le membre de la Société des amis de Dumas, dont nous commémorons samedi 5 décembre les 150 ans de la mort.
Opinion Internationale : Alexandre Dumas est célèbre dans le monde entier bien que considéré en France comme un auteur mineur. Pourquoi ?
André Bellon : Il est en effet considéré comme un auteur de romans sympas, prenants, dont certains ont été adaptés au cinéma un nombre de fois incroyable. Et c’est tout. En réalité, Dumas est un des auteurs français fondamentaux. Ne serait-ce que par le fait qu’il est le fondateur du théâtre romantique avec sa pièce Henri III et sa cour représentée pour la première fois en février 1829, un an avant Hernani de Victor Hugo.
Quelle est, d’après vous, sa force et sa particularité ?
D’abord, certainement son amour des personnages. Il en crée énormément et se plaît à raconter, magnifiquement, leur histoire. Et bien sûr la variété des genres auxquels il s’est essayé. Le théâtre, le roman d’aventure, les récits de voyage, en Russie, dans le Caucase, en Afrique du Nord, entre autres. Il a aussi écrit une sorte de reportage sur la fuite de Louis XVI après avoir retracé son chemin, s’arrêtant aux mêmes endroits que lui et interrogeant des témoins. Dans son livre La Route de Varennes, disponible en poche dans la belle collection « Mille et une nuits », il fait des révélations qui vont largement à l’encontre des idées reçues défendues pourtant par de grands historiens – au sujet, par exemple, des circonstances de l’arrestation du roi. Et il a même concocté un dictionnaire de cuisine. Avec de vraies recettes et plein de clins d’œil. Car il avait beaucoup d’humour. À tel point qu’on lui prête cette phrase à la sortie d’une réception : « Qu’est-ce que je me serais ennuyé si je n’avais pas été là ! »
Homme d’esprit, touche-à-tout de génie, c’est formidable, évidemment, mais pour vous, qui êtes et avez toujours été un homme engagé, ne trouvez-vous pas qu’il lui manque une dimension politique ?
Pas du tout. Dumas était profondément républicain. C’était fondamental pour lui. Comme son père avant lui. Sans s’attaquer frontalement à des sujets politiques, il distille discrètement ses positions dans ses textes. Comme par rapport à l’esclavage, un sujet qui le touche de près, puisque le général Dumas, son père, était métis, fils d’une esclave. Mais encore, dans sa Route de Varennes, il donne, en plein Second Empire, une interprétation favorable aux thèses républicaines. Et par sa méthode de travail, journalistique, il se pose avec cette œuvre comme un précurseur.
Qu’auriez-vous envie d’ajouter pour finir ?
Que Dumas est un grand auteur et que justice ne lui a pas été faite. Par exemple, je l’ai cherché dans le Lagarde et Michard, et n’ai trouvé à son sujet qu’une note de bas de page. Pourtant il est très aimé. Preuve en est la foule qui a assisté à sa panthéonisation le 30 novembre 2002. Il était très populaire aussi de son vivant, comme l’illustre cette anecdote : un jour, un homme arrive en calèche chez lui, au château de Monte-Cristo sur la colline de Port-Marly, avec une énorme gerbe de fleurs. Il lui dit « c’est pour vous » et s’en retourne sans commentaire. Dumas ne comprend pas qui peut en être l’expéditeur, mais il fait disposer les fleurs dans sa maison. Quelque temps plus tard, le même homme lui apporte une gerbe plus grande et belle que la première. L’énigme de l’expéditeur n’est toujours pas élucidée, mais Dumas remercie encore. Cette scène se reproduit plusieurs fois sans que le mystère soit levé. Puis un jour que Dumas se promène faubourg Saint-Antoine, il aperçoit, sur la façade d’un fleuriste : « Fournisseur d’Alexandre Dumas ». Il entre et reconnaît le fameux inconnu qui lui a livré les fleurs. Ce dernier lui rapporte que depuis qu’il a accroché cet écriteau à sa vitrine son magasin ne désemplit pas. Dumas rit, amusé. Flatté sans doute, mais surtout appréciant l’astuce de ce commerçant. Voilà. Il était ainsi. Un homme qui était resté simple. Un bon vivant, généreux et profondément humain. Et qui adorait les femmes. Ça va ensemble d’ailleurs !
Propos recueillis par Catherine Fuhg