Guy de Maupassant (1850-93) ? Nombre de Français réservent une place à part à l’auteur de Boule de suif. Chacun à sa manière. L’immortel Giscard expose qu’il découvrit le romancier grâce à son… chauffeur, fou de chasse comme lui (in Le Pouvoir et la vie, tome 2, éditions le Livre de poche, 1991, p. 208). Il est au passage révélateur qu’un membre de l’Académie française ne sache pas pousser la porte d’une librairie : « (…) j’ai fini par céder (sic), en demandant à Gabriel Lavaire (le chauffeur) de m’acheter les Contes de la bécasse, dans une édition de poche. » Ce qui explique au passage qu’en ces temps de Covid, la librairie ait pu ne pas figurer au nombre des « commerces essentiels » pour ces majors de promotion, remarquables régurgiteurs de cours, « gendres idéaux » élus grâce à un magistral quiproquo et n’ayant en vérité jamais montré une réelle appétence pour la littérature, française ou pas. Soyons clair : à l’exception de Mitterrand, vrai amoureux de la langue et lecteur assidu, on aura bousculé assez peu de présidents devant les bouquinistes, encore moins à Médan-Zola ou dans l’ermitage de Croisset-Flaubert, où Mitterrand vint en 1988, seul, en pèlerinage. Ou à Miromesnil, où naquit Maupassant.
Maupassant, il est vrai, demeure un peu prisonnier de ses œuvres les plus célèbres, Bel-Ami, Fort comme la mort ou la sublime Miss Harriet, par-delà ses contes. Mais il se révèle aussi par la part que nombre de ses brefs -ou moins brefs- récits réservent au lit. Grand sportif au cou de taureau, canotier et marin, dormeur à ses heures, le Normand raconte dans La Patronne (Pléiade, Contes et nouvelles II) l’aventure d’un jeune Breton, qui se retrouve étudiant à Paris, rue des Saints Pères.
L’adolescent est placé par la volonté de ses parents sous la férule de la propriétaire d’une maison d’étudiants du pays, Madame Kergaran, une sorte d’adjudant qui « surveillait tout avec un étonnant fracas de paroles, regardait si les lits étaient bien faits » … mais se montre en réalité aux petits soins.
L’histoire est riche mais courte, et on ne privera pas le lecteur de sa découverte… hormis la chute, toute à la gloire de la literie ! Car la patronne surprend le jouvenceau effeuillant une cousette, un soir d’été et de douces moiteurs. Il est presque minuit, et chacun se trouve peu vêtu. Pour autant, la patronne n’entend pas que soit mise à mal son autorité. La lorette est vite expédiée et s’enfuit dans la nuit. Dans la foulée, le jeune locataire est convoqué, sur le seuil de la propre chambre de la payse : « Ah ça, Monsieur, vous prenez donc ma maison pour une maison publique ! » Et l’adjudante de lui asséner vingt minutes d’un fougueux réquisitoire.
Tout le génie de Maupassant tient en quelques phrases et en l’espèce, quelques mots. « Moi (l’homme est un animal singulier) au lieu de l’écouter, je la regardais. Je n’entendais plus un mot, mais plus un mot. Elle avait une poitrine superbe, la gaillarde, ferme, blanche et grasse (…). Je ne me serais jamais douté vraiment qu’il y eût de pareilles choses sous la robe de laine de la patronne. Elle semblait rajeunie de dix ans, en déshabillé. (…) Et derrière elle, là-bas dans l’alcôve, je regardais son lit. Il était entrouvert (c’est un lit breton NDR), écrasé, montrant, par le trou creusé dans les draps, la pesée du corps qui s’était couché là. Et je pensais qu’il devait faire très bon et très chaud là-dedans, plus chaud que dans un autre lit. (…) Quoi de plus troublant et de plus charmant qu’un lit défait ? »
Le lecteur excusera la brutale coupure du texte. Parue en 1884, la Patronne connaîtrait de nos jours les foudres de la censure bien-pensante ; culbuter une honnête propriétaire bretonne, pas encore syndiquée, entraînerait la levée de boucliers féministes, armoricaines et qui sait ? la saisine des tribunaux militaires… Une si belle adjudante !
Jean-Philippe de Garate