La France seule contre tous ?
Sam Brownback, l’émissaire des États-Unis pour la liberté religieuse, a déclaré s’inquiéter de la « répression » contre les religions en France. Et d’ajouter, dans la perspective de la future loi visant à renforcer la laïcité en France : « Notre point de vue, c’est que le rôle du gouvernement est de protéger la liberté religieuse ». La liberté religieuse serait en danger en France.
Ah cette fameuse religion… L’opium du peuple, disait Karl Marx. Pas en France. La France est l’un des pays les plus athées du monde. Selon une étude réalisée par l’institut Sociovision en 2014, seuls 12 % des catholiques se disent pratiquants. Ça vous en bouche un coin, Monsieur Sam Brownback ?
Qu’est donc la religion ? Elle n’est pas la croyance, libre par essence. Le croyant croit, le dévot sait. Elle serait donc plutôt le contraire. Elle est loi, elle est doctrine, elle est règle. Dix règles au départ, dix commandements, gravés dans les Tables de la Loi. « Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas… ». Repris et reformulés par les monothéismes suivants. Mais aussi l’obligation d’adoration du dieu unique, que les clergés de toutes obédiences transformeront en soumission.
La religion sans exégèse, contextualisation et interprétation, conduit à l’obscurantisme, à la théocratie, donc à la dictature. Toute religion dogmatique est l’antithèse de la philosophie, de la réflexion, de l’intelligence, des lumières. La religion élevée au rang de système politique a été et est source de conflits, de guerres, de massacres. Elle fut prétexte à la colonisation et même au massacre de tous ceux qui refusèrent la conversion, la soumission. La colonisation de l’Amérique, du Nord comme du Sud, menée au nom de la civilisation et de la bible, fut proportionnellement le plus grand génocide de l’Histoire. Les deux grandes religions prosélytes, le christianisme et l’islam, ont évangélisé païens et polythéistes sur tous les continents à la force du glaive. Si les chrétiens ont mis fin à leurs conquêtes et à leur guerre sainte, certains demeurent décidés à défendre leur chapelle (et leurs privilèges) au mépris de l’intérêt général. On se souvient des levées de boucliers contre la légalisation de l’avortement en 1974, des manifestations pour “l’école libre” en 1984, de la “manif pour tous” contre le mariage et l’adoption par les homosexuels en 2012. Aujourd’hui, ils obligent le gouvernement à reculer sur la restriction de la scolarisation à domicile. Connivence factuelle avec les islamistes, comme à Jérusalem, quand les ultras juifs, musulmans et chrétiens, unis comme les doigts d’une main, voulurent, en vain, interdire le défilé de la Gay pride. Et ne parlons pas des évangélistes protestants aux Etats-Unis et en Asie qui nient la science et dressent les uns contre les autres.
Le 7 décembre, lors d’une conférence de presse sur le perron de l’Élysée, le président dictateur égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, qui mâta par la force les Frères musulmans, expliqua que la religion est la valeur suprême. Très poliment, Emmanuel Macron lui a renvoyé l’ascenseur, expliquant que l’homme est la référence suprême.
Ce qu’a exprimé le président français ne fait pas l’unanimité dans les démocraties occidentales, loin s’en faut. Elles sont sécularisées, mais aucune ne défend ses enfants contre le communautarisme et l’endoctrinement religieux, islamiste en l’occurrence, comme le fait la France.
France laïque : l’œuvre inachevée
La France n’est pas seulement sécularisée. Elle est laïque. Elle est aussi historiquement la fille aînée de l’Église. Elle est aussi le pays des clochers. A l’image des statues qu’il ne faut pas déboulonner, les croix dans le paysage ne sont pas des signes de dévotion, mais des marques de l’Histoire qu’il ne faut pas effacer au nom de la laïcité. Noël est notre fête à tous, mais pas Yom Kippour ou l’Aïd el-Fitr. 50 ans d’immigration ne valent pas 1500 ans d’Histoire, n’en déplaise aux multiculturalistes, aux indigénistes, aux islamistes…
La France laïque permet l’expression de toutes les religions, mais les maintient à leur place : la sphère privée. Et plus que tout, elle se doit de l’exclure de toute influence politique. Nous ne sommes pas en Égypte ou en Turquie, pas même en Israël où le scrutin proportionnel donne aux ultras le pouvoir de faire ou défaire les majorités, ni au Royaume-Uni où « God Save the Queen », ou aux États-Unis où la pudibonderie hypocrite côtoie la décadence morale, sexuelle, sociale la plus effrayante.
Chez ces donneurs de leçons, on ne respecte pas la religion plus qu’en France, mais on cède devant l’avancée de l’obscurantisme. Outre-Manche et outre-Atlantique, les petites filles peuvent être voilées à l’école, comme leurs enseignantes. Arrivées à l’âge adulte, il leur sera très difficile de s’extirper de ce carcan, d’être libres, d’avoir le choix.
La laïcité est un trésor, comme le dit Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale.
Le XXI siècle sera spirituel (ou religieux) ou ne sera pas, aurait dit André Malraux. Et bien chiche : considérons la laïcité, et toutes les autres valeurs républicaines, comme notre religion. Balayons les formules creuses comme « la laïcité ne doit pas être la religion de ceux qui n’en ont pas, bla bla bla ». Qu’elle soit une religion au deuxième ou troisième degré. Un joyau en tout cas, qu’il faut défendre comme l’Europe défendit sa liberté, certes en rangs dispersés et avec l’aide américaine, face au nazisme. Elle ne le fit pas au nom de dieu ou d’une religion.
La France est la fille ainée de l’Église, mais la laïcité est celle de la Révolution française.
Et si l’œuvre n’était pas achevée ? Soyons fiers de notre laïcité, serait-elle singulière. N’hésitons pas à la défendre et même à la promouvoir. Amis anglais, allemands, américains, sachez que la laïcité peut être un bouclier, non pas contre la liberté de croire et de pratiquer sa religion, mais contre l’obscurantisme, le communautarisme et le séparatisme.
Vive la laïcité, et vive la République française !
Michel Taube