« Vous avez apprécié le premier épisode de la pandémie ? Vous allez adorer le troisième. Si vous survivez au second. » Cette plaisanterie de bar-tabac, à la saveur morbide, d’une indélicatesse appuyée, constituera-t-elle le dernier rempart pour ne pas pleurer de honte ?
Dès lors, énoncer des données chiffrées, ce n’est pas « faire son intéressant », mais rappeler la nécessité urgente, vitale, de revenir au réel. Maintenant !
Nombre de médecins en France : 226.000. Nombre de généralistes : aux alentours de 102.000. Ratio pour 67 millions de compatriotes : 0,0015. Soit, en français, un médecin pour 670 habitants. Ce ratio semble raisonnable. Mais en période de pandémie ? Combien de spécialistes des voies respiratoires, d’urgentistes, de cardiologues … ? Moins de 15.000. On réalise alors : le front – au sens guerrier du terme- est ridiculement fragile. Arrêtez donc de nous parler de votre ligne Maginot !
Et demeurons simple pour saisir les « grandes tendances ».
Avec cette première donnée qui tombe sous le sens en période d’épidémie, ce que vous nommiez « guerre » : le renouvellement des praticiens.
Chaque année, environ 10.000 médecins partent à la retraite. 8500 prêtent serment. Le renouvellement n’est pas assuré. On nous dit qu’il n’en manquerait que 1.500. Mais c’est bien pire. Accrochez-vous, aimable lecteur, car vous n’allez pas le croire, pour la simple raison que ce n’est pas crédible. Et pourtant, c’est la stricte réalité, facilement vérifiable. La médecine pour demain à l’âge d’une pandémie mondiale vue par l’appareil d’Etat. Nous sommes en décembre 2020. Et nous prenons date.
Nous survivons à une pandémie dont tout le monde sait qu’elle demeure incontrôlée dans son origine, dans son évolution, avec en son cœur un virus dont on ne sait en vérité pas grand-chose, non curable efficacement, avec un vaccin dont les effets secondaires sont aujourd’hui non véritablement connus, donc non maîtrisés, un virus encore successible de muter. Un virus qui présente au moins trois formes, avec des atteintes pulmonaires massives (cas de nombre des 30.000 premiers patients décédés, dont Valéry Giscard d’Estaing) puis cardiaques (Patrick Devedjian et Claude Goasguen), enfin de puissantes attaques cérébrales… On sait le nombre de morts à l’hôpital et hors EPHAD, personne ne sait encore la portée des séquelles frappant les survivants. L’auteur peut citer un cas d’amputation. Alors, peut-on redevenir sérieux ?
Démonstration en cinq points. Soyez prévenu… Lorsque nous quitterons les chiffres et la démonstration, ce sera pour rejoindre… Shakespeare.
Commençons par le commencement… la première année de médecine.
- Le « numerus clausus » n’existe plus, a annoncé le gouvernement. La proportion d’étudiants de première année admis en seconde année est désormais déterminée par le « numerus apertus ». La direction de la santé du ministère du même nom présente ce changement comme un élargissement du recrutement. Mais la vérité n’est pas celle-ci mais celle-là : Diafoirus est de retour avec son galimatias
- Car c’est exactement le contraire qui découle de cette réforme. Le cursus de la PACES comporte désormais trois canaux d’alimentation – pourquoi faire simple ? – avec la PASS (étudiants de première année) et la PACES résiduelle (doublants), outre les étudiants provenant des licences.
- Petit détail : les nouveaux étudiants en première année de médecine ne pourront plus redoubler. On a prétendu l’abolir, mais les bons Macroniens ont aggravé la réalité de ce qui demeure un « numerus clausus ». Un gouvernement respectueux des Français l’expliquerait : comment demain, pourront être formés davantage de médecins si dès la première année, on en réduit le nombre ? Faut-il répéter la question ?
- On pourrait ensuite dérouler le raisonnement le long du cursus universitaire. On tue la médecine française. Je répète et je souligne. Clairement, on étrangle la profession médicale, les praticiens étant – on le sait – considérés comme une variable d’ajustement.
Que va-t-il logiquement se passer lors de la reprise de la pandémie ? Retranchons déjà les dizaines de médecins morts du Covid – on oscille entre 60 et 80 – et ceux dont le nombre dépasserait 150, relevant des séquelles ou ne s’en relevant pas et prenant de nécessaires « vacances » prolongées. On peut être médecin et traumatisé par l’enfer vécu. Oublions les remplaçants étrangers dont les contrats n’ont pas été reconduits. Retranchons aussi les médecins ayant cessé ou réorienté leur activité du fait de la puissance de l’impact. Avec deux « détails » qui n’en sont pas.
- L’hôpital demeure soumis aux contraintes débiles – le mot est adapté – des administratifs, qui perçoivent davantage d’argent du Ségur de la Santé…Oui, l’Etat est fou.
- Les agences régionales de santé sont des aberrations en elles-mêmes. Faut-il rappeler la fermeture de lits annoncée en pleine « première vague » par le génie dirigeant l’ARS du Grand-Est ? La place de Grève – pour ceux qui laissent mourir – était jadis le lieu consacré pour ces magiciens.
Il était bien d’applaudir à vingt heures, le printemps dernier, les femmes et hommes ayant exposé leur vie pour sauver celle des autres. Mais l’argent injecté dans l’hôpital a suivi le cursus habituel et s’est fondu dans les dédales administratifs : le directeur administratif d’un établissement de soins reçoit en proportion davantage de cette manne que le personnel soignant.
C’est de toutes les façons, une bien curieuse manière de penser que celle de notre époque. L’argent a peu à voir avec l’empathie médicale. Hier, on récompensait les médecins méritants par des gratifications dont l’origine se retrouve dans le sens du devoir, de l’honneur et de l’humanité. Victor Hugo, pas le « plan » Ségur ! Les médecins ont besoin de considération et d’argent, ils ont surtout besoin de confrères ! De jeunes confrères français ! Quiconque a travaillé 90 heures une semaine sait le coût – physique, nerveux, etc.- et quiconque a vécu l’éprouvante expérience de plongée dans les services d’urgence spécifique ressent l’impact terrifiant de la pandémie planétaire.
Quand on a en tête l’architecture du système de soins français, on réalise immédiatement qu’il ne tiendra pas si la montée en puissance de l’épidémie dépasse une certaine intensité. Si on se réfère à des précédents, que ce soit la grippe espagnole ou les vagues de choléra, on « visualise » deux à trois années de surmortalité. Oui, bien sûr, les références historiques sont repoussées du pied… nous avons tant progressé, prétend-on.
Les Français savent désormais l’ampleur du mensonge d’Etat. Un Etat dont la tête d’hydrocéphale n’arrive plus à « penser le réel » et voir autre chose que lui. Dans cette tête emplie d’eau plate, il n’y a plus de place pour ce pour quoi l’Etat fut créé. Et les eaux dormantes des administrations grossissantes gonflent cette tête, encore et encore.
La médecine, de tous temps, fut à l’opposé de ce monstre.
Dans le hall de l’Ordre des médecins est apposée une plaque de marbre. En 1944, le président, tirant la leçon des errements de nos Mengele hexagonaux, a simplement écrit, en substance : « Ce que j’écris, c’est moi qui l’écris. Et ce que je dis est ceci : aucune administration, sous aucun prétexte, ne peut s’interposer dans le lien sacré par lequel un homme soigne un autre ».
Dans la tragédie à la Shakespeare qui perdure, l’Etat joue le rôle du tueur et non celui du protecteur : Lady Mac Beth fourbissant ses lames et ses arguties. Avec ses sophismes et ses sorcières. NON ! Il faut recruter massivement des médecins, ouvrir les recrutements. Maintenant ! Et je le dis sans la moindre retenue : quiconque ne frissonne pas aujourd’hui devant cette folie d’Etat frissonnera demain. Seul, tel Mac Beth.
Jean-Philippe de Garate