L’annonce, le 17 décembre en fin de matinée, de la contamination du Président de la République par la COVID 19 a, de nouveau, posé quelques questions sur la continuité du fonctionnement des institutions en cas de maladie du locataire de l’Élysée. Au-delà des vœux de prompt rétablissement qu’il convient d’adresser à Emmanuel Macron et des circonstances très spécifiques de l’actuelle pandémie, le sujet mérite une attention très particulière. Il juxtapose des aspects constitutionnels et politiques, donc publics, avec l’indispensable protection de la vie privée et son corollaire, le secret médical. Certes le Président de la République n’est pas un citoyen ordinaire, mais il a droit, comme tout un chacun, à ce que son intimité médicale ne soit divulguée qu’avec son consentement.
L’histoire de la Ve République enseigne que les titulaires de la magistrature suprême peuvent être sujets à des difficultés de santé plus ou moins graves : le général de Gaulle a été opéré de la prostate ; le Président Pompidou n’a pas reconnu publiquement une santé défaillante pourtant visible à l’œil nu ; le Président Mitterrand a réussi à camoufler son cancer de la prostate jusqu’au jour où l’opération est devenue inévitable ; les derniers mois de son mandat ont été un calvaire ; le Président Chirac a été hospitalisé une semaine pour un AVC et n’a pu reprendre ses activités que progressivement. À chaque fois une double interrogation s’est développée, avec des éléments propres à chaque épisode : est-il indispensable de faire fonctionner les procédures de l’article 7 de la Constitution pour un intérim temporaire du président du Sénat ? Quel doit être le degré de publicité à donner avant ou après à l’état de santé de l’intéressé ?
On sait que la Constitution prévoit l’empêchement temporaire du Président de la République, l’exercice de ses fonctions par le Président du Sénat avec un plein usage des pouvoirs présidentiels, à quelques exceptions près. Il appartient au Conseil constitutionnel, saisi par le Gouvernement, de constater l’empêchement, de déclarer l’ouverture de l’intérim et, le moment venu, de décider soit son extinction par le retour en fonction du titulaire, soit son caractère définitif, ce qui entraîne une nouvelle élection présidentielle. Ce mécanisme n’a jamais eu l’occasion de fonctionner depuis 1959. Seul celui prévu en cas de vacance de la présidence (1969, 1974) a été mis en œuvre.
Comme souvent, la situation française ne ressemble à aucune autre. Dans les régimes parlementaires classiques, la maladie du chef du Gouvernement met automatiquement en orbite le numéro deux de l’équipe gouvernementale, et si besoin, les suivants. On l’a vu récemment en Grande-Bretagne avec l’hospitalisation, au printemps 2020, pendant quelques jours, de Boris Johnson. Aux États-Unis, le vice-président est là pour remplacer le Président, de manière temporaire ou définitive. Lors de la courte et spectaculaire hospitalisation de Donal Trump en octobre dernier, il a été clairement montré via la télévision qu’il n’y avait aucune indisponibilité politique du spécialiste de Twitter. En France, il n’existe pas de vice-président de la République (contrairement aux espoirs de Gaston Monnerville en 1958) : le Président est le véritable chef de l’exécutif et le Premier ministre peut être facilement supplée par le premier des ministres sectoriels.
La question la plus difficile à apprécier est celle du degré d’indisponibilité du Président et de son éventuelle durée. Sur le premier point, il n’existe pas d’autre réponse qu’une appréciation de bon sens fondée sur des avis médicaux. Si le président est dans le coma, aucun doute n’est permis, l’intérim doit être ouvert. Si le président ne subit qu’une assez courte opération (ou qu’un traitement régulier) et qu’il a la possibilité de retrouver rapidement ses esprits, il assure lui-même la continuité. C’est cette solution qui a jusqu’à présent été retenue. Qu’en serait-il d’un président soigné à l’isolement, par exemple en réanimation, sans mise en coma artificiel ? Qu’en serait-il d’un président connaissant de légers troubles neurologiques ou psychiatriques ou une lourde maladie chronique ? On retrouve ici non seulement l’aspect médical sur la capacité de discernement et de décision du patient mais également le pronostic sur la durée, brève ou définitive, de l’empêchement. Peut-être la République laïque pourrait-elle s’inspirer de l’exemple du pape Benoît XVI qui, en 2013, a considéré que son état de santé ne lui permettait plus d’exercer correctement son magistère. Sans doute avait-il en tête les si douloureuses dernières années de Jean-Paul II ?
Heureusement, aucune de ces situations dramatiques n’est aujourd’hui d’actualité. On ressent ici que même les règles juridiques les plus raffinées ne peuvent pas répondre à toutes les situations humaines. M. Macron est malade, cela ne fait guère de doute. En l’état, et espérons que cela durera, il possède toutes les capacités pour exercer son mandat. Il n’en demeure pas moins que l’état de santé des dirigeants, dans les démocraties comme dans les régimes autoritaires, relève autant de la conscience humaine que de la constitution.
Didier Maus
Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel
Ancien maire de Samois-sur-Seine