Edito
11H50 - mardi 29 décembre 2020

Alors que le CFCM éclate sur sa Charte des « valeurs », le coup d’éclat de Chems Eddine Hafiz ouvre-t-il la voie à un schisme salutaire dans « l’Islam de France » ? L’édito de Michel Taube

 

Chems Eddine Hafiz, le Recteur de la Mosquée de Paris, homme fort du CFCM avec son Président Mohammed Moussaoui, l’a fait savoir hier par voie de communiqué : « J’ai décidé […] de ne plus participer aux réunions qui visent à mettre en œuvre le projet du Conseil national des imams et de geler tous les contacts avec l’ensemble de la composante islamiste du CFCM ». 

La raison : les composantes islamistes du CFCM, le Conseil Français du Culte Musulman, refusent de signer un projet de charte des valeurs, comme le révèle Mohamed Sifaoui dans une tribune au JDD le 27 décembre.

Autant dire que le CFCM, voulu par Nicolas Sarkozy en 2007, est en train d’éclater et que l’Islam de France n’est pas près de sortir des conciliabules incessants et vains entre associations d’imams dans notre pays. 

Il y a bien (au moins) deux Islam en France : les islamistes et les musulmans laïcs. Et le retrait de Chems Eddine Hafiz résonne comme un appel à tous les musulmans : l’heure de choisir son camp est venue.

Pour sa part, Chems Eddine Hafiz a décidé de faire primer la relation de l’Islam avec la République sur toute autre exigence du culte musulman :  la soumission des cultes et des lois de Dieu aux valeurs de la République prime sur toute autre considération théologique. C’est une des meilleures définitions de la laïcité.

Quel est en effet l’objet du « délit » ? L’Etat peut-il s’ingérer dans la gouvernance de l’Islam en France et aller jusqu’à contrôler les cultes, notamment dans les enseignements que dispensent les religieux ? Dans son projet de Charte des valeurs, le Collectif des mosquées de France (CMF) regroupant une centaine de mosquées principalement en Ile-de-France proposait son interprétation de la laïcité française : « Les communautés religieuses ont le droit de vivre, de pratiquer et d’enseigner librement leur religion dans le cadre de la liberté de conscience dans un état de droit démocratique et laïc. Cette norme constitutionnelle, que nous défendons également, offre aux musulmans de France la possibilité de pratiquer librement leur religion. »

Ce principe apparemment légitime constituerait une barrière infranchissable pour empêcher la dispense de cours de religion véhiculant des idées extrémistes comme la haine de la musique et le rejet de l’égalité entre hommes et femmes.

Les dirigeants musulmans sont donc incapables de s’entendre sur le sens des valeurs ! Telle est la triste réalité d’un islam divisé et d’un schisme inévitable en son sein et qui serait au fond salutaire.

Se faisant aussi, et à plus court terme, le Recteur de la Mosquée de Paris tue dans l’œuf une des dispositions principales du projet de loi contre les séparatismes présenté par Emmanuel Macron en octobre dernier aux Mureaux : la création d’un Conseil national des imams chargé de certifier la formation de ces derniers en France. Et pour cause : la République n’a pas d’interlocuteurs musulmans suffisamment laïcs et républicains pour répondre à la main tendue par l’Etat depuis déjà plus de dix ans.

La réalité est que ce coup d’éclat cache mal la prise de pouvoir à la base des lieux de culte par des organisations et des imams d’obédience islamiste. Le travail de sape de la communauté musulmane par les islamistes, surtout auprès des jeunes et dans les quartiers populaires, et pas uniquement dans les mosquées, est déjà bien avancé. Forte d’une base militante largement acquise, l’influence de « la composante islamiste » au sein du CFCM est grandissante.

Entre l’écrivain algérien Bouhalem Sansal qui déclare à Jeune Afrique « Il n’y a plus assez d’intellectuels libres pour faire renaître l’islam », le président de la Conférence des évêques de France qui déclare à Valeurs actuelles que le « durcissement de l’islam » rend la cohabitation « difficile », ou le journaliste écrivain Mohamed Sifaoui, qui dans le JDD explique comment les islamistes ont sabordé « la charte des valeurs » de l’islam voulue par Emmanuel Macron, il y a donc de quoi avoir quelques inquiétudes quant à l’évolution des relations et l’espoir d’une sereine cohabitation de l’islam avec notre république laïque. L’espace entre soumission et guerre civile, non pas de religions, mais entre l’obscurantisme et les Lumières, se rétrécit à vitesse croissante.

 

Reconquérir les territoires perdus de la République

Depuis des décennies, les leaders d’opinion ferment les yeux, et au nom du pas d’amalgame et du pas de vague, ou de la défense du multiculturalisme, laissent prospérer une idéologie moyenâgeuse au point de rendre impossible la reconquête pacifique des territoires perdus de la République, voire même la sauvegarde de cette république, tant l’entrisme du fondamentalisme islamique est patent.

Noël a encore donné un signe que la solution au problème pourra difficilement être trouvée sans l’implication des musulmans eux-mêmes : un jeune homme musulman, fils de policier, a été passé à tabac pour avoir mangé des huîtres, et donc célébré Noël à sa façon, ce qui en ferait un traître à l’islam. Nous en sommes à ce degré de bêtise, d’intolérance et de violence. La faiblesse de nos dirigeants, leur manque de courage politique, leurs grands discours jamais suivis d’effets, la complaisance de la justice et de nombreux médias, et la complicité d’une grande partie de la gauche, de l’extrême gauche et des écologistes, mais aussi du monde culturel qui se drape dans la morale et la bienpensance, tout cela revient à abandonner ces Français musulmans aux intégristes. Ces derniers et leurs soutiens sus-désignés, en particulier ce traître à la laïcité et à la République qu’est Jean-Luc Mélenchon, montrent du doigt tous ceux qui veulent résister à l’islamisation des Français musulmans, comme première étape d’une conquête globale. Cela conduirait à braquer tous les musulmans, ce que souhaitent les islamistes, nous chantent-ils la main sur le cœur, et l’œil sur les sondages. Cet argument a démontré sa vacuité. Ce n’est pas seulement la Russie, la Chine, les Etats-Unis ou Israël qui ont compris que cette complaisance conduirait à la ruine. Dans le monde arabe, y compris en Arabie saoudite, on combat désormais le fanatisme religieux avec détermination. Et en France, messieurs Mélenchon et consorts, par idéologie ou clientélisme, s’en font les soutiens. 

En Angleterre, le joueur vedette du FC Liverpool, l’Egyptien Mohamed Salah, qui avait pourtant donné à ses coreligionnaires des gages d’antisionisme au point d’exaspérer les joueurs musulmans israéliens, fut copieusement injurié pour avoir osé poser avec un père Noël. Quand on sait que Mahmoud Abbas, président de l’autorité palestinienne, n’a renoncé à l’illumination de l’arbre de Noël de Bethléem que pour cause de confinement sanitaire, on se dit que la folle dérive obscurantiste d’un pan de plus en plus important de l’islam européen risque vite d’échapper désormais à tout contrôle et à toute logique. 

C’est la charia ou rien. Le monde se divise en deux : Dar al-Islam (terre d’islam) et Dar al-Harb (terre de guerre, celle de l’islam pour conquérir le monde). De même, les peuples sont aussi deux : la oumma (communauté des fidèles) et les autres, les infidèles ou « Kouffar », qu’il faut convertir ou éliminer.

Retour en France. Plus de la moitié des jeunes musulmans privilégient la charia sur la loi laïque.  L’Institut Montaigne l’a déjà démontré il y a plus de cinq ans dans une étude restée célèbre. Il est inutile de chercher à les convaincre, à les déradicaliser, comme certains pseudo-experts ont prétendu savoir le faire aux frais du contribuable. 

Mieux vaudrait que cette majorité trop silencieuse de ces Français musulmans laïcs, comme ce jeune homme violenté pour être un « mauvais musulman », se révoltent, de préférence pacifiquement, par exemple en postant sur les réseaux sociaux des milliers de photos de leur vie laïque et débarrassée de ce carcan d’un autre âge. 

L’implication pacifique des musulmans de France devait également prendre la forme de cette « charte des valeurs » annoncée le 18 novembre dernier par Emmanuel Macron, après qu’il eut reçu les représentants des fédérations constituant le bientôt feu Conseil français du culte musulman (CFCM). Un texte était attendu dans les quinze jours suivants, mais six semaines après le discours présidentiel, Mohamed Moussaoui, président du CFCM, est donc bien incapable de proposer une synthèse au chef de l’État, tant les positions des représentants de l’islam de France sont divergentes et parfois antagonistes. Il s’y est bien essayé, mais le projet fut évidemment rejeté par les radicaux, qui ne représentent pas une petite minorité, contrairement ce qu’affirment encore benoitement trop de commentateurs. 

La méthode présidentielle alimente moult critiques : pour les uns, il eut fallu s’en remettre aux mosquées et non aux fédérations, pour élaborer cette charte. Pour les autres, comme Tareq Oubrou, imam de Bordeaux aux convictions laïques fluctuantes, il faut laisser les questions religieuses aux religieux (et donc, les laisser endoctriner à loisir !). Et d’aucuns de brandir la loi de 1905. Ce sont donc les imams qui vont faire l’exégèse de la loi de 1905 et sans doute de la Constitution, et définir ce que sont les principes républicains ?!

L’échec du projet de « Charte des valeurs » a le mérite de souligner la division de la communauté musulmane. On préférerait qu’elle soit unie derrière les valeurs républicaines et notamment la laïcité, mais comme on sait que ce n’est pas le cas, on peut au moins se réjouir qu’elle n’ait pas entièrement basculé dans l’obscurantisme. La scission ne doit pas être entre musulmans et non-musulmans, entre la Oumma et les infidèles, entre Dar al-Islam et Dar al-Harb, mais entre les républicains de toutes confessions et les islamistes. Le politiquement correct conduirait à évoquer les fanatiques de toutes confessions, mais pareil amalgame serait contraire à l’évidence. Les ennemis de la République sont les trois fascismes que sont l’extrême droite, l’extrême gauche et le fondamentalisme islamique.

Tous les discours prônant le dialogue avec les fondamentalistes (les fameux accommodements raisonnables) et prédisant le pire en cas d’affirmation forte des valeurs républicaines sont contredits par les faits, en France comme partout dans le monde. Il est vrai qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs et que des lois permettant de briser l’islam politique, si tant est que ce ne soit pas trop tard provoqueraient des tensions, et sans doute de la violence. Mais le vrai crime, celui contre notre liberté, notre mode de vie, notre civilisation, serait de courber l’échine une nouvelle fois, au motif que cette exigence serait d’extrême droite. 

Quand la gauche fut au pouvoir, François Hollande et Manuel Valls ont été empêchés d’agir par leur majorité. La droite républicaine, aujourd’hui en meilleure posture pour reconquérir le pouvoir, combattra-t-elle avec la même détermination l’extrême droite et l’islam radical ? Espérons qu’Emmanuel Macron soit sur cette ligne. Entre son discours et le projet de loi visant à renforcer la laïcité, la reculade est déjà considérable. Cela ne présage rien de bon.

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de la publication