Le mythe américain en a pris un sacré coup hier à Washington. La prise d’assaut du Congrès, comme un vulgaire stade de foot, par une foule en délire chauffée à blanc depuis deux mois par le Président en personne, a été retransmise sur les écrans du monde entier. Sous nos yeux effarés, les forces de l’ordre chargées de la sécurité du lieu ont laissé, sans intervenir, les assaillants entrer, violer le sanctuaire de leur démocratie. Pire encore, on a pu en voir se photographier souriants avec des insurgés.
Ce matin, dans le New York Times, Katrin Bennhold empruntait à l’allemand un mot pour décrire le sentiment de certains dans le monde au sujet de cette attaque : Schadenfreude. Ce mot, qui n’a pas malheureusement d’équivalent en français, parle de la joie de voir autrui échouer, peiner, pleurer. La journaliste citait des réactions un peu moqueuses glanées dans les médias et sur les réseaux asociaux, comme je les ai rebaptisés – ils ne l’ont pas volé. Entre autres le post sur Twitter de Mmusi Maimane, ancien leader de l’opposition sud-africaine : « En tant qu’Africains, nous demandons aux Américains de respecter la démocratie » ; et celui de Felipe Neto, un commentateur politique brésilien : « J’attends que les États-Unis envahissent les États-Unis pour y “rétablir la démocratie”. »
Nos amis américains l’ont sans doute un peu cherché à force de s’ériger en donneurs de leçons, éternels redresseurs de torts et de s’autodéclarer le plus formidable pays du monde. Ils découvrent que le dieu en qui ils ont mis leur confiance, selon leur « In God We Trust » imprimé sur leurs billets de banque, ne peut les protéger d’eux-mêmes. Peut-être que s’ils avaient gardé « E Pluribus Unum », qu’on pourrait librement traduire « l’union fait la force », leur devise jusqu’en 1956, ils auraient su mieux résister aux graines de la division semées par Donald Trump. L’histoire ne nous le dira pas. Il ne sert donc à rien d’élaborer sur ce point.
Quoi qu’il en soit, pour ma part, je ne peux pas me réjouir de l’échec des Américains. D’abord, parce que je les aime bien. Ensuite parce que la maladie qui ronge leur système est une pandémie. Que notre pays pourrait y succomber aussi. Nous aussi sommes arrogants. Nous aussi nous prenons pour le centre du monde. Nous aussi manquons cruellement de sens de l’autocritique. Mais surtout parce que nous aussi abandonnons les sans-dent, sans-voix, à leur misère, leur frustration. Nous mettons à l’honneur des gens qui ne le méritent pas, dont le seul accomplissement a été de dire « Allo, quoi » devant plusieurs millions de téléspectateurs ou d’avoir hérité du nom et de la fortune de leurs généreux géniteurs. Ne nous berçons pas d’illusion, nous ne sommes pas à l’abri en France d’un Donald Trump.
On ne peut que se féliciter de la lâcheté de Donald Trump. Sous la pression, il a fini par céder et siffler ses chiens. Il ne reste qu’à espérer qu’il jouait là son dernier tour. Et que nous saurons tous, ici et là-bas, tirer les enseignements de sa brève incursion dans l’histoire des États-Unis.
Catherine Fuhg