Edito
12H03 - jeudi 7 janvier 2021

La nuit américaine ou les « gilets jaunes » au Capitole ? L’édito de Michel Taube

 

8 mai 2022. Une heure après la réélection d’Emmanuel Macron, avec moins de 100.000 voix d’avance sur Marine Le Pen, cette dernière déclare que l’élection a été volée au peuple français, qu’elle était truquée, que les scrutateurs du RN ont été évincés de certains bureaux de vote, qu’il y a eu bourrage des urnes. Le lendemain, plusieurs dizaines de milliers de militants d’extrême droite marchent sur l’Élysée. Joe Biden apparaît à la télévision, derrière les drapeaux américain et… français, et chante la Marseillaise, accompagné de Barak Obama au saxophone. A Paris, la police…

Un autre scénario est envisageable… 15 septembre 2022. Sous la pression de l’opinion et de la rue, le Président de la République, Jean-Luc Mélenchon, élu avec 200.000 voix d’avance sur Marine Le Pen cinq mois plus tôt, décide d’instaurer le RIC (référendum d’initiative citoyenne) révocatoire. Le 5 décembre, il est révoqué, et annonce que l’élection a été volée au peuple français, qu’elle était truquée… Le lendemain, plusieurs dizaines de milliers de blacks blocs d’extrême gauche dévastent les Champs-Élysées, investissent l’Assemblée nationale, incendient les sièges des partis d’opposition. La police…

Revenons à 2021 et ce matin du 7 janvier où le Covid et le fiasco de la logistique française ont été mis entre parenthèses, à la plus grande satisfaction du gouvernement et d’un Emmanuel Macron dont la mise en scène américaine (allocution à 3h du matin derrière un drapeau américain) avait un caractère presque hollywoodien.

Les Américains sont formidables : à New York, la bourse de Wall Street n’a pas cessé sa progression alors que l’information sur les événements du Capitole se répendait autour de la « corbeille ». Le marché est démocrate, et euphorique depuis la toute récente conquête du Sénat par le parti du président élu. On dit souvent que la bourse est plus qu’un indicateur financier et même économique. Étant largement basée sur la confiance, elle reflète l’état général de la société dans une économie libérale. N’entendions-nous pas dans les milieux d’affaires, au lendemain du 11 septembre 2001, « la bourse a tenu ! » ?

Malgré le décès de quatre personnes, probablement des activistes trumpiens dans ce pays où l’on a la gâchette facile, les références nombreuses au coup d’État sont encore moins pertinentes que l’analogie avec les débordements insurrectionnels en marge du mouvement des gilets jaunes. Une bande de fachos qui parvient à investir le Capitole avant d’être délogée sans opposer une grande résistance, ce n’est pas l’armée chilienne qui investit le Palais présidentiel et abat Salvador Allende pour installer une dictature militaire. On peut reprocher à Donald Trump d’avoir incité ses supporters à se rassembler devant le Capitole, éventuellement de les avoir encouragés à perturber la séance d’homologation de la victoire de Joe Biden, mais il n’a probablement jamais eu en tête qu’un groupuscule armé parmi ses partisans viserait à la prise de contrôle du pays. Le fait que le président sortant appelle ensuite au calme et demande aux manifestants de rentrer chez eux n’excuse pas son attitude de pompier pyromane, même si lui et ses partisans pensent (à tort) d’avoir quelques bonnes raisons d’être amers. Ce faisant, Donald Trump a peut-être hypothéqué ses espoirs de retour au pouvoir dans quatre ans.

À court terme, son attitude a-t-elle fragilisé ou consolidé l’imminente présidence Biden ? A-t-elle accentué la fragmentation du tissu social américain et contribué à fragiliser la démocratie ? Les problèmes auxquels l’Amérique et sa nouvelle direction seront très rapidement confrontés, à commencer par la pandémie de Covid et ses conséquences économiques, ne laisseront guère de place aux questionnements de cet ordre. La parenthèse Trump se fermera bientôt pour laisser la place à une autre, dont on sait qu’elle ne durera que quatre ans, au plus. Après, ce sera à Kamala Harris de jouer, si les Démocrates n’échouent pas.

Quoi qu’il advienne, il restera de cet épisode que le populisme, dans son acception la plus péjorative qui consiste à flatter les bas instincts du peuple, sans considération pour les principes et droits fondamentaux, est bien une maladie des démocraties. Trump n’est pas Hitler, contrairement à ce qu’une certaine intelligentsia veut laisser entendre. Il n’est même pas Le Pen ni Mélenchon : son bilan économique avant la crise du Covid et quelques victoires diplomatiques, notamment au Moyen-Orient, resteront. Si Le Pen et/ou Mélenchon se retrouvent au second tour de la prochaine élection présidentielle française, hypothèse de plus en plus envisageable, la situation mériterait bien une révolution !

Il reste que cette nuit américaine quasi-insurrectionnelle résonne jusqu’en France et rappelle, entre autres, la profanation de l’Arc de Triomphe le 1er décembre 2018. La poignée d’extrémistes de droite qui ont envahi le Capitole, sont-ils à Donald Trump ce que les Blacks-blocs sont à Jean-Luc Mélenchon et les milices identitaires à Marine Le Pen ? Jean-Luc Mélenchon et ses affidés ont souvent eu des propos quasi-insurrectionnels et ne manqueraient pas de monter sur des barricades si un samedi prochain une foule de yellow blocks venait à marcher sur l’Elysée et que la police, exaspérée d’être malmenée dans l’opinion publique, décidait de laisser faire… 

 

Michel Taube

 

 

 

 

 

 

 

Directeur de la publication