Le rituel du lever le matin pour l’école varie d’un enfant à l’autre. Certains se redressent dans leur lit, comme s’ils étaient sur des ressorts, pas ceux de leur matelas, mais de leur envie d’y aller, de plonger tête la première dans leurs activités. D’autres traînent entre leurs draps, tentant de rattraper les bribes de rêves éparpillés. Ils ouvriront bientôt les yeux, se lèveront sans se presser, marcheront au radar jusqu’à leur petit déjeuner, et une fois rassasiés, se prépareront tranquillement, contents des perspectives que leur réserve la journée.
Tous quittent leur lit sans états d’âme car la vie les attend.
Sauf que ça, c’était avant. Avant la covid-19. Quand s’amuser entre copains signifiait se bagarrer, courir, rire, se toucher. Se tenir par la main en jouant à chat deux. Crier ensemble à tue-tête « à la déli-délo ! » ou « Un deux trois soleil ». Mais depuis mars 2020, le soleil s’est caché. Car les sourires sont muselés, étouffés sous des masques, dans les rues et les cours d’écoles.
Sans sourire, que le monde est triste ! Qu’il soit d’un blanc éclatant, de travers, ou sans dent, celui ridé du vieillard, les lèvres en dedans, ou potelé de l’enfant attendant la petite souris, avec fossettes ou sans, c’est le sourire qui donne au monde son éclat, ses couleurs. C’est donc dans un monde gris que nos enfants ont évolué depuis bientôt une année. Un monde devenu gris foncé à l’entrée de l’hiver. Un monde froid, hostile, terrifiant.
Du haut de notre ignorance, nous tendons à imaginer nos petits inconscients. Nous les croyons épargnés par la réalité. Pourtant, manquer de mots pour formuler ses sentiments ne rend personne indifférent. Aussi, a-t-on constaté, dès les premières semaines de l’épidémie de Covid, que le sommeil des enfants en était impacté. Dans leur lit, dans leur nid, du tréfonds de leurs rêves, leurs cris, leurs pleurs nous alertaient. Des mois depuis ont passé. Dans une vie d’enfant, une année, c’est l’éternité. Ils ont eu tout le temps de désapprendre le sourire. De n’aspirer plus à rien d’autre que de se calfeutrer entre des couvertures, de s’abîmer dans le sommeil, pour oublier la tristesse de tant de jours sans lumière.
Comment, dans ces conditions, les tirer de leur lit pour les envoyer à l’école sans avoir à leur faire, comme en colonie de vacances, un lit en portefeuille ? Comment les persuader que cet ami, ce confident, sur lequel ils aiment se jeter pour lui livrer leurs secrets, leurs peines et leurs espoirs, ce refuge dans lequel ils aiment à s’enfoncer pour oublier l’adversité, ne doit pas devenir leur compagnon de chaque instant ? Peut-être en leur expliquant que l’absence aiguise l’amitié, que rien ne vaudra le plaisir, ensuite, de le retrouver.
Catherine Fuhg