Avant même que le Canadien Couche-tard et le groupe Carrefour n’aient dévoilé les contours du rapprochement qu’ils envisagent, le gouvernement français, par la voix de son ministre de l’économie et de son ministre du travail, rejetait cette fusion. Bruno Lemaire criait « Non Non Non », tout en ajoutant un petit « mais ».
Est-ce à cause du couvre-feu à 18h que le gouvernement rejette l’éventuelle offre du Canadien Couche-tard ? car, sinon, l’Etat est-il actionnaire majoritaire de Carrefour ? Une fois de plus, ce gouvernement n’hésite pas à remettre en cause nos libertés, liberté de circuler, liberté de travailler, et ici liberté d’entreprendre. L’Etat s’était déjà illustré dans ce domaine il y a près d’un an sur les dividendes, en poussant les entreprises à ne pas en distribuer. Mais peut-on encore faire ce que l’on veut de son argent en France au XXIème siècle ?
Carrefour risque-t-il de disparaître en France avec ce rapprochement avec un Canadien ? Aucunement, Couche-tard n’a pas d’enseignes en France. Il n’y a aucun risque de doublons. Rappelons aussi que seul un tiers des salariés de Carrefour sont sur l’Hexagone, donc les deux tiers hors de France, de la Chine au Brésil en passant par l’Espagne. Que dirait le gouvernement si un jour un autre pays où cherche à se développer Carrefour lui rétorque, « trois fois non, retournez chez vous, Vous êtes étranger, laissez nos entreprises tranquilles » ?
Quelle est la politique industrielle de ce gouvernement en la matière ? cherche-t-il à développer des champions français qui rayonnent partout dans le monde ou des entreprises franco-françaises borgnes mais reines parmi les aveugles ?
Il est vrai que la loi Pacte permet au gouvernement de surveiller les investissements non-européens et de protéger les entreprises françaises. Mais ces dispositions de 2018 visent à protéger les secteurs d’avenir, l’innovation, l’énergie, les entreprises participant à la défense ou à la sécurité, la cryptologie, les télécommunications, le traitement des eaux, le stockage des données, les semi-conducteurs, la robotique, le spatial, l’intelligence artificielle, voire nos terres agricoles…mais nos hypermarchés sont-ils un secteur d’avenir ? Notre Etat-stratège craint-il pour notre souveraineté économique si le capital de Carrefour évolue ? Pourtant, quand on regarde les chiffres de la rentabilité de Couche-tard, Carrefour, et d’autres, auraient beaucoup à apprendre des innovations et méthodes canadiennes… et si la grande distribution est une activité classée stratégique, quelle activité dans ce cas ne le serait pas ?
Le rôle du Ministre de l’Economie devrait être de développer l’attractivité économique de notre pays, de développer l’épargne de nos ménages, d’attirer l’épargne étrangère. En disant, d’emblée, non, le ministre risque de nuire gravement à notre santé économique et de rater ces trois cibles. En effet, comment investir dans un pays où les actionnaires ne peuvent recevoir librement leurs dividendes, où ils ne peuvent entrer dans le capital de partenaires, non stratégiques, sans l’accord du gouvernement malgré l’accord du dit partenaire ? Comment pousser les épargnants français à investir en bourse, et donc à développer les fonds propres, si nécessaires, de nos entreprises quand dans le même temps on bloque les opérations qui aident à mieux valoriser les actions sous-jacentes ? Comment attirer l’épargne non-résidente sur les actions françaises plutôt qu’anglaises ou allemandes ? Le coup de menton de Bruno Lemaire risque d’ajouter une décote supplémentaire à la valorisation de nos entreprises, inutilement. Car en quoi cette alliance entre grands de la distribution nuirait-elle à l’emploi en France ?
Le ministre aurait dû dire « oui, oui, mais », en surveillant le projet et en évitant que cette alliance n’entraîne des licenciements. En quoi passer sous la gouvernance d’actionnaires canadiens est-il plus dangereux pour notre pays que rester avec le Groupe Arnault comme actionnaire ? Les deux peuvent être d’excellents atouts pour le développement de Carrefour. D’ailleurs l’Elysée semblait moins négative que Bercy sur ce dossier et laissait la porte entre-ouverte…
La loi Pacte a introduit cette possibilité pour l’Etat d’interférer avec l’entrée de groupes étrangers dans le capital de nos sociétés. Elle a aussi introduit la notion de « raison d’être », grand leitmotiv actuel. Mais il ne faudrait pas oublier que l’entreprise doit d’abord « Etre », l’existence passe avant l’essence, et que la tâche des dirigeants consiste aussi à optimiser leurs outils industriels et à maximiser les profits. Le ministre craint-il que l’entrée d’un grand groupe canadien ne remette ce simple bon sens au cœur de la stratégie et la Mairie au milieu du Village ?
Patrick Pilcer