Depuis quelques jours, nous sommes entrés dans le prologue de l’élection présidentielle de 2022 (à condition que l’épidémie ne nous joue pas un mauvais tour). On voit des candidats se déclarer, des candidats à la candidature se manifester et le président sortant, comme ses prédécesseurs, expliquer que sa candidature n’est pas à l’ordre du jour, mais faire exactement le contraire. C’est de bonne guerre. On entend à nouveau Emmanuel Macron et ses amis expliquer qu’il faut poursuivre le programme des réformes « pour lesquels nous avons été élus en 2017 ».
En mai 2017 Emmanuel Macron avait un calendrier dans la tête. Malheureusement pour lui, il a tenu un an. Depuis, il court après l’imprévu et essaye de retrouver cette maitrise des horloges qu’il aime tant. En juillet 2018, l’affaire Benalla, évidemment pas inscrite dans son calendrier, fait dérailler le logiciel présidentiel. Par la suite, les « Gilets jaunes », le Grand Débat national, les réactions au projet de loi sur les retraites et, enfin, cette pandémie qui n’en finit pas, ont nécessairement eu la priorité sur le déroulé et les ambitions d’origine. On a peu remarqué que le 4 septembre dernier, au Panthéon, le Président Macron a évoqué « la pandémie que nous venons de traverser ». Il espérait donc pouvoir se dégager de cet épisode et retrouver son calendrier initial. Quelques semaines plus tard, il instaurait le couvre-feu puis un nouveau confinement, preuves que la traversée de la pandémie n’était pas terminée. Elle ne l’est toujours pas.
L’insistance mise sur les réformes repose un sur l’énorme malentendu du printemps 2017. À la différence de élections présidentielles antérieures (sauf celle de 2002), le second tour de 2017 n’a pas donné lieu à une confrontation « projet contre projet ». En 1974 et en1981, chacun savait, d’une part que Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand étaient des candidats crédibles, d’autre part que leurs perspectives d’action politique étaient fondamentalement différentes. En 2007 ou en 2012, les duels de Nicolas Sarkozy avec Ségolène Royal ou François Hollande offraient un véritable choix aux Français. Rien de tel en 2017. Emmanuel Macron sait, dès le soir du 23 avril 2017, qu’il a gagné, non pas sans combattre, mais sans avoir à arracher les voix une par une. Ses 24% constituent sa véritable base électorale. C’est mieux que Jacques Chirac en 2002 (20%), mais cela représente quand même moins d’un quart des électeurs. Ce n’est pas faire injure à Mme Le Pen que de constater que son éventuelle réussite au second tour n’était envisagée par personne, sans doute même pas par elle-même. Elle était là pour exprimer l’importance d’une minorité, pas pour incarner un espoir majoritaire.
De ce fait, personne ne peut dire ce que signifiait pour les Français le mandat donné à Emmanuel Macron le 7 mai 2017 avec 66% des suffrages exprimés. Sa victoire personnelle ne peut pas être interprétée comme une victoire politique, même pas celle du « en même temps ». Au printemps 2017, la France a été privée d’un débat programmatique et politique sur le choix d’un avenir commun. Il n’y a pas derrière le nouveau président un courant populaire, qu’il soit d’inspiration libérale ou sociale-démocrate. Il n’y pas des forces sociales ou militantes prêtes à soutenir un projet ambitieux.
De manière quelque paradoxale, il faudra attendre la crise des « Gilets jaunes » et le Grand Débat, mis en place par Emmanuel Macron lui-même, pour que des questions essentielles soient discutées, par exemple l’insertion de la France dans une économie mondialisée (avant la Covid 19), la coupure entre vie urbaine et vie péri-urbaine et rurale, la priorité donnée à l’écologie, les avantages et le coût du modèle social français… Les réunions du Grand Débat ressemblaient à des réunions électorales, à la différence près qu’il n’y avait pas d’enjeu électoral. Leur côté académique et bien élevé l’a emporté sur leur signification politique.
Emmanuel Macron était probablement porteur d’un projet personnel. Mais ceux qui ont voté pour lui au second tour ont d’abord exprimé le rejet d’une aventure d’extrême droite et ensuite leur confiance dans une certaine tradition républicaine. Cela ne suffit pas pour justifier des réformes, qu’elles soient d’inspiration libérale ou non. De ce malentendu découle l’ambiguïté fondamentale des années suivantes. Emmanuel Macron a-t-il été élu pour réformer (et si oui dans quel sens ?) Ou pour maintenir un système démocratique face à la menace Le Pen ?
A moins d’un an d’une nouvelle campagne présidentielle, il est à souhaiter que les Françaises et les Français auront la possibilité de choisir un vrai projet collectif. Un nouveau duel Macron/Le Pen aboutira au même résultat que celui de 2017, avec les mêmes malentendus et, cette fois-ci, sans l’attrait de la nouveauté.
Didier Maus
Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel
Ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020)