Dormir, activité essentielle ? Puisque nous sommes à une époque et dans un régime qui osent distinguer entre activités essentielles et secondaires, si nous devions, la tête sous le billot, céder à cette méprisante distinction, nous le crierions haut et fort : le lit est essentiel !
Il y a des objets dont il faut créer le besoin. L’attrait de la nouveauté est un atout de taille pour ceux qui veulent les promouvoir. Smartphones, homepods, trotinettes électriques… Nous avons pu l’observer en direct ces dernières années avec les divers outils de communication entre autres. Leur multiplicité, leur coût, leur obsolescence programmée n’ont pas un brin apaisé l’engouement du public pour leur technologie. Nous sommes comme des enfants, voire pire, lorsque nous découvrons des options, des fonctions, aussi farfelues parfois que superflues. L’homme ne manque pas de génie, technologique ou commercial. Nous pouvons en juger en un clin d’œil autour de nous : nos intérieurs débordent de ces objets inutiles dont nous ne pouvons, cependant, « absolument pas nous passer ».
Le lit n’est pas de ceux-là. D’abord, son invention ne date pas d’hier puisque, selon les historiens, elle remonte à mille quatre cents ans environ avant l’ère chrétienne, sous le règne de Toutankhamon, qui en voulut trois dans sa tombe. Un pour dormir, un pour rêver et un pour batifoler ? Mystère. Il a quitté notre monde sans un mot d’explication.
Quoi qu’il en soit, désormais le lit fait partie de nos meubles, au point de se trouver dans la liste des équipements de première nécessité établie par la Caisse d’allocation familiale : elle octroie un petit budget, variable selon les régions, aux plus défavorisés, pour l’achat de leurs sommiers et de leurs matelas.
Pourquoi le lit est-il donc tellement important ? Parce que nous y passons un tiers de notre temps ? Que s’ils n’y voient pas le jour, nos enfants « naissent » dans nos lits, en tout cas le plus souvent, pour grandir dans le leur et qu’ainsi de suite se crée le cycle des générations ? Oui, mais pas seulement. Notre sommeil, nous le savons, affecte notre humeur – nuit d’insomnie, journée pourrie – et, nous le savons moins, impacte notre corps. On se trompe en pensant que dormir, ce n’est pas sorcier, qu’on met sa tête sur l’oreiller et le tour est joué. Le sommeil réparateur de la sagesse populaire ne répare rien si nous dormons sur un matelas de chiffon, jeté à même le sol. Nous tournerons dessus des heures à la recherche d’une position pas trop inconfortable et nous y réveillerons fourbus, pour une journée, encore, foutue !
« Comme on fait son lit, on se couche » et on se lève aussi. La qualité du lit, c’est la qualité de la vie.
Combien de lombalgies, de migraines, de scènes de ménage pourrions-nous éviter en accordant à nos literies l’attention qu’elles méritent ? Alors, pourquoi ne pas ajouter « bien dormir » au slogan prévention santé « bien manger et bien bouger » ? Et pourquoi la Sécu n’envisagerait-elle pas d’investir dans les lits de tous ses assurés, en les remboursant en partie ? Non, ce n’est pas du luxe. Il y aurait là des millions à économiser.
Catherine Fuhg et Michel Taube