Je l’attrape chez lui par hasard. Même si, en réalité, il ne court pas les rues. Entre la méchante bestiole qui menace sa santé et l’interdiction de jouer, encore à cause de la bestiole, il n’est pas débordé. Pourtant, il avait prévu de sortir aujourd’hui, pour une interview justement. Sauf qu’il l’a annulée. Il en a profité pour brûler son repas de midi, il n’est pas doué en cuisine, puis pour répondre à mes questions au nom de la haute estime en laquelle il déclare tenir l’entrepreneur Pierre Elmalek, président-fondateur de Maison de la Literie.
Mais venons-en aux faits : qu’attend donc cet acteur, cet humoriste au fort accent, parigot en civil et yiddish à la scène, ce grincheux – c’est lui qui le dit , qu’on ne présente plus, Popeck pour ne pas le citer, qu’attend-il de sa literie ?
Tout d’abord, qu’elle soit ferme, comme lui-même, sur ses positions. Il déteste, quand il saute dessus, s’enfoncer dans un matelas. Remarque, pour sauter sur le sien, épais de trente centimètres, il devrait prendre son élan. « C’est une histoire pour y grimper et une histoire pour en descendre. » Ce qui n’est pas si grave au fond, parce que, en ce moment, il y passe beaucoup de temps. « Je me couche de bonne heure pour amortir le prix », dit-il un sourire dans la voix. Amené l’air de rien, son petit trait d’esprit me prend de court, j’éclate de rire.
Son matelas est silencieux, un détail important, et composé de deux parties, séparées mais solidaires. Ainsi sa femme et lui peuvent gigoter la nuit sans risquer de réveiller l’autre. Ils ont passé une matinée à en tester des différents, ressorts ou mousse ou mélangé, avant de choisir chacun le garnissage de son côté. Un matelas sur mesure, surtout pour son épouse qui a le dos fragile. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Elle avait déjà des problèmes quand ils se sont rencontrés, à cause d’un accident. « Mais elle me l’a caché. Et elle a eu raison, je ne l’aurais pas prise d’occasion. » Sa femme, qui entend sur haut-parleur notre conversation, commente d’un « oui, bien sûr » complice.
Son exigence de bonnes literies ne date d’ailleurs pas d’aujourd’hui. Depuis qu’il peut se le permettre, il veille à toujours dormir sur des matelas de qualité, même quand il séjourne à l’hôtel. Quitte à créer l’événement et faire du déménagement. Souvent, « quand celui de ma chambre ne me convenait pas, je faisais du charme aux femmes de chambre pour qu’elles me laissent tester ceux des chambres d’à côté. » Après, avec son fils, « un athlète, une armoire à glace » précise-t-il avec fierté, ils faisaient l’échange en douce. « On remettait tout en place. Et le lit au carré. On a appris à l’armée. » Sa femme en rougissait de honte. Elle confirme et ajoute qu’il lui arrivait aussi d’échanger les téléviseurs, pour un écran plus grand… Il lâche un rire espiègle, pas gêné le moins du monde.
Mais au fond, pourquoi ne pas profiter de sa chance ? Il n’a pas eu, loin de là, une vie toujours rose. Dans les orphelinats, où il a pratiquement grandi, puis dans les foyers de travailleurs, il a appris à dormir à la dure, en dortoir. Et plus tard, jeune adulte, il n’avait pas les moyens de s’offrir des literies neuves. Il se les procurait d’occasion, dans les salles de vente. « J’achetais tout à Drouot. J’aurais pu faire marchand de meubles.
J’ai même trouvé là-bas un canapé Louis XIII que j’ai eu pour une bouchée de pain – Attention, un authentique ! On devait recevoir les Prévert à la maison – ; on l’a monté par la fenêtre dans notre 23 mètres carrés. Sauf qu’on ne pouvait plus bouger. Ma femme en a pleuré. J’ai dû m’en débarrasser. » Du canapé, rassurez-vous.
Catherine Fuhg