Parmi les meubles de nos maisons, le lit est unique en son genre. Les autres se groupent par parentés. Commodes, armoires, bahuts, buffets, bonnetières et vaisseliers entrent dans la famille range-tout. Quand les chaises, tabourets, canapés ou fauteuils se classent dans celle des sièges. Qu’elle se conjugue basse ou haute, ronde, carrée ou ovale, la table, quant à elle, ne sert bien qu’entourée.
Mais le lit, ô le lit, ce noble serviteur, s’il s’accommode volontiers de la compagnie d’un tapis à poil long à sa descente, de tables de chevet et lampes de nuit à ses côtés, il se suffit à lui-même. Sa singularité ne s’arrête pourtant pas là. Bien qu’objet inanimé, à l’instar de ses collègues, (pas camarades, attention !), le lit, en son matelas, a une âme.
Sans doute, se prêtant volontiers aux envolées lyriques, le vocabulaire litier contribue à parer le lit d’une aura précieuse, mystérieuse. En effet, pour les spécialistes, le matelas se compose d’une « âme » que les profanes, profanement, nommeront mousse, ressorts, latex – avouez que c’est moins inspirant –, et d’un « accueil » que vous et moi aurions traité de garnissage – et pourquoi pas de farce ?, comme pour une vulgaire tomate ! –, en laine ou fibre de coton.
Nous apprenons aussi, en creusant le sujet, qu’il est doté d’une résilience, son degré d’élasticité. C’est qu’il en faut pour encaisser nos poids, nos gesticulations, notre sueur, nuit après nuit, et retrouver chaque matin sa bonne forme, l’air de rien.
Ce n’est pas encore tout. Muet, mais pas toujours silencieux, le lit, aux premières loges de notre intimité, sait garder nos secrets plus gracieusement qu’une tombe. Délicat, il conserve notre chaleur entre ses draps. Le souvenir de nos ébats le marque jusque dans son cœur. Et l’esprit des dormeurs l’habite encore longtemps après leur disparition. Comment expliquer sinon notre fascination pour les lits des célébrités, notre émotion face à ces meubles – excusez-moi, seigneurs – qui eurent la chance de coucher ceux que nous admirons, de faire corps avec eux, la sensation presque mystique de leur présence autour de lui, au-dessus de lui ? Empreinte de leur histoire, l’âme de leur lit nous les raconte. Il suffit de tendre l’oreille.
Catherine Fuhg et Michel Taube
Photo d’Amandine