Il était une fois le relativisme linguistique selon lequel nos perceptions dépendraient du vocabulaire à notre disposition. Ainsi, selon Edward Sapir et Benjamin Whorf, les pères de cette théorie, l’homme ne pourrait imaginer de concepts en dehors de son champ lexical.
Pour étayer son hypothèse, Benjamin Whorf s’était basé sur son étude du langage de peuples des Amériques, en particulier des Inuits, habitants des régions arctiques du nord de ce continent. Il arguait des trois noms dont ces derniers disposaient pour parler de la neige. Puis, leur nombre estimé s’est envolé à des centaines, avant de redescendre à cinquante-deux, puis une douzaine, où il s’est stabilisé après des vérifications qui durèrent de longues années laissant à la rumeur le temps de se propager. Une douzaine, c’est déjà pas mal, et c’est à peu près aussi le nombre de mots français pour désigner le lit. Vous vous demandiez sans doute par quelle pirouette j’atterrirais sur mon sujet. Eh bien voilà, c’est fait.
« Ah, ces Fronçais, alors, touchours aussi déferkontés ! » diraient nos voisins allemands. Pas qu’eux d’ailleurs : nous sommes tenus à cet égard en haute estime de par le monde. Et ce n’est pas volé. En effet, sans rechigner aux plaisirs d’une glissade à dos de skis, les Français, pour la plupart, n’en déplaisent à certains amoureux de poudreuses, se roulent plus volontiers sur des matelas que dans la neige, comme l’exprimait si frenchement Pierre Dehaye, ou Coluche selon les sources : « La raison du plumard est toujours la meilleure ».
Alors ces petits noms d’amour de notre lit ?
Je m’arrête un instant, par mesure de prévention – puisque c’est d’actualité –, pour répondre d’avance un « vadre retro » vigoureux aux puristes rabat-joie tentés d’objecter que ces termes, pour certains empruntés librement à l’argot, se mêlent à notre noble langue sans vraiment s’y apparenter.
Parmi mes préférés, on ne présente plus le plumard, déjà cité plus haut, gentiment décliné du latin plumacium, garni évidemment de plumes, de nos ancêtres les Romains… Du moins pour ceux d’entre nous dont les aïeules gauloises se seraient malencontreusement commises avec l’occupant.
Citons aussi le paddock, qui lui a traversé la Manche pour parvenir jusqu’à nous. Ce lieu british d’exposition des chevaux avant la course est devenu dans l’Hexagone celui d’exploits, brillants ou non, d’étalons d’un autre genre. Nous avons encore le pucier, où il se gratte de pioncer, le pieu, le grabat, le châlit, le schlofe et le peautre, tous deux issus de l’allemand, la paillasse, le pagne ou pageot qui se targue à ses heures de s’orthographier « pajot », né du croisement de paillot, petite paillasse d’un lit d’enfant, et de pagnot, « panier à provisions » puis « à viande », ô, qu’en termes galants, nous voilà-t-il pas décrits.
Enfin, en ces temps difficiles, pourquoi ne pas rêver ? Je vous ai donc réservé le plus romantique pour la fin, l’alcôve où nous nous réfugions seul ou à deux pour dormir, voire plus si affinité.
Catherine Fuhg