« Faire le métier d’humoriste, pour une femme, ce n’est pas facile (1). » Il y a seulement six ans, Florence Foresti lâchait, sur le plateau rigolard de Salut les Terriens, cette vérité pas vraiment drôle en réponse à la question : « Votre combat le plus difficile ? » Prononcée par une des reines du stand-up comedy français, sans l’ombre d’un sourire, elle aurait dû interpeller. Pourtant, pas d’effet bombe. Ni mouche qui vole. Ni ange qui passe. Quelques vannes oiseuses plus loin, de Baffie et Ardisson, Foresti se lançait dans une explication qui sonnait comme une plate excuse. « Je ne voudrais pas non plus, c’est-à-dire »… bafouillait celle plus connue pour ses répliques qui fusent du tac-au-tac, reculant de plusieurs pas, surprise par son propre culot. Permettez-moi de compléter selon ses pointillés : « Je vais pas faire ma meuf. Et jouer les victimes. Faut pas exagérer. » Ben, c’est vrai, quoi, Florence ! D’ailleurs, ne vous inquiétez pas, Foresti s’est vite ressaisie, raccrochant ses wagons à la dérision de ses hôtes, et hop, on a enchaîné.
N’ayant pas peur de déranger, surtout quand c’est nécessaire, j’ai cherché à en savoir plus sur la situation des femmes dans le monde de l’humour, pour découvrir que « pas facile » est largement en deçà de la réalité. Et je ne vous demande pas de me croire sur parole.
Les femmes représentent environ 20 % des humoristes, tous pays confondus. Leur proportion en France est de 22,2 %, et leur présence télévisée seulement de 17 % selon une étude (2) publiée par Nelly Quemener, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne Nouvelle, dans OpenEdition Journal en 2020. Moins encore qu’au Sénat, et ses 33 % de femmes, un score pas franchement brillant en termes de parité. Mais parce qu’il faut toujours prendre la vie du bon côté, comme chantaient les Monty Python, je me presse d’ajouter que c’est plus qu’à l’Académie où elles ne sont que 15 %.
Certains affirmeront qu’on ne peut pas faire de miracle – ce qui est sans doute vrai –, et que les femmes n’ont pas d’humour – ce qui l’est sans doute moins. Comment expliquer sinon que l’humour soit considéré comme l’arme principale de séduction pour les hommes ? Que les femmes rient à leurs boutades, sans qu’il soit nécessaire de claquer dans les mains pour leur indiquer le moment ? Que les premiers consommateurs de spectacles humoristiques soient des consommatrices ?
Alors qu’est-ce qui se cache derrière cette difficulté ?
Les préjugés d’abord, si nombreux dans ce domaine. Il paraît, par exemple, que les femmes, par nature, pour ne pas dire génétiquement, ne sont pas fun pour deux ronds. Pas plus tard qu’en 2019, une équipe de chercheurs l’ont démontré « scientifiquement » en Caroline du Nord (3). Si. Sérieusement. Je vous assure ! Par grandeur d’âme, on veut bien concéder « aux grosses » et « aux moches », un peu de drôlerie. Mais l’histoire ne dit pas comment les gènes les repèrent à l’avance.
Ensuite, il y a la peur. De perdre en féminité. De rester à jamais la copine asexuée, avec qui on aime rigoler mais pas batifoler. Christelle Paré, membre du Centre de recherche en études comiques de Londres et enseignante à l’École nationale de l’humour au Québec, a constaté en travaillant avec des adolescents, qu’un braquage soudain s’opérait au moment de la puberté. À l’âge où les jeunes filles commencent à s’intéresser au jeu de la séduction, elles abandonnent leur nez et leur combinaison de clown pour une paire de talons.
Puis vient l’autocensure. Craignant d’être cataloguées, les femmes se restreignent parfois, évitant les sujets spécifiquement féminins, pour faire dans le corps de garde qui leur sied médiocrement. Ou, au contraire, refusant de se laisser intimider, elles forcent le trait militant et perdent en légèreté, et donc en drôlerie.
Enfin, l’argent, nerf de la guerre. Les cordons de cette bourse-là sont tenus par les producteurs, corps de métier masculin à 90 %, qui naturellement favorisent l’humour mâle, une valeur sûre.
Heureusement, et pour finir sur une note optimiste, il y a quand même du progrès au sein de la profession, même si la route est longue encore. Les femmes s’y sont multipliées depuis les années soixante-dix, où elles se comptaient sur les doigts d’une seule main. Certaines femmes comme Blanche Gardin (4) osent tout et réussissent à conquérir un public large. Et mixte. Espérons que demain se lèvera une génération plus nombreuse et plus drôle encore pour nous faire rire au féminin.
Catherine Fuhg