Pour ceux qui la découvrent à travers la photo publiée par sa sœur mercredi sur Twitter, le visage ouvert, lumineux, le sourire épanoui, la beauté généreuse, tranquille, souveraine, elle semble appartenir à la race des chanceux, chouchoutés par la vie, épargnés par les soucis. Cette impression se dissipe à la vue de portraits qui datent d’à peine trois ans. On note alors ses joues creusées, ses cheveux d’un noir si brillant maintenant balayés de blanc, son corps épanoui, qui semblait danser même sur un instantané, figé dans une pose sage, les bras derrière le dos.
Entre ces deux clichés, mille et un jours ont passé. Mille et une journées de souffrances qu’elle a traversées en partie dans l’isolement complet, au secret de la prison de haute sécurité du royaume saoudien, près de la ville de Dhahban.
Dans cet établissement sont détenus au même titre des combattants d’Al-Qaïda, de l’État islamique et des opposants au régime, comme Loujain et ses amis. Car, en Arabie saoudite, la monarchie au pouvoir considère critique politique et revendications comme des actes terroristes.
Ainsi, Loujain Al-Hathloul a été enlevée aux Émirats arabes unis, donc en territoire étranger, le 15 mai 2018, puis rapatriée de force pour être incarcérée, parce qu’elle osait militer pour la libération des femmes de la tutelle masculine et leur droit à conduire.
En détention, cette jeune femme de trente et un ans maintenant a été torturée – électrocutée, fouettée – et sexuellement violentée. Pourtant lorsque ses geôliers, en août 2019, offraient de la libérer à condition qu’elle nie les sévices qu’elle avait subis, elle a refusé le marché. Acte d’autant plus brave que Mohammed ben Salman, prince héritier de la couronne, celui qu’on présentait à ses débuts en politique comme un « réformateur », n’aime pas qu’on lui résiste et ne recule devant aucune abjection. Rappelons qu’il a ordonné l’assassinat en Turquie de Jamal Khashoggi, journaliste dissident, avant de condamner ses sbires pour cet assassinat.
Le supplice de Loujain a donc continué. À la veille du G20 qui devait se tenir les 21 et 22 novembre derniers à Riyad, l’Union européenne ainsi que trente pays réclament sa libération. Mohammed ben Salman s’y engage en réponse. Mais au lendemain du sommet, il oublie sa promesse. La jeune femme sera donc jugée et, au terme de son procès, condamnée à cinq ans et huit mois de prison, le 28 décembre dernier.
Mercredi 10 février, elle est rentrée chez elle, libre enfin bien que sous le coup de cinq années d’interdiction de sortie du territoire. Gageons qu’après un temps nécessaire de convalescence, on la retrouvera, en dépit de tous les dangers, en première ligne de la lutte pour les droits des femmes, et des hommes, en Arabie saoudite.
Catherine Fuhg