La Commission et le Parlement européens sont en plein psychodrame, suite à la visite diplomatique de Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les Affaires Etrangères, à Moscou. Venu débattre avec les autorités russes du sort de possibles progrès dans les relations entre l’Europe et la Russie, le chef de la diplomatie européenne, s’est retrouvé, piégé entre la condamnation de l’opposant Alexeï Navalny à près de trois ans de prison par la justice russe et l’expulsion de diplomates européens accusés d’avoir été présents dans les manifestations en sa faveur.
Humiliation de Borrell, donc de l’Union européenne par Poutine et son brillant et terrible ministre des Relations extérieures, Sergueï Lavrov.
Humiliation mal vécue par les pays membres de l’Union, par les responsables de la Commission et par les députés européens, 80 d’entre eux demandant la démission du chef de la diplomatie européenne.
Il est facile d’accuser Josep Borrell de naïveté, de faiblesse ou d’erreur. En fait, « on reproche à l’Europe de ne pas agir dans un domaine où, en réalité, elle n’a pas de mandat » comme le soulignait Hubert Védrine.
Pour une fois où l’Union avait, dans un domaine régalien, un vrai chef de sa diplomatie, pragmatique, courageux, prenant à bras le corps les dossiers sensibles et tentant de les solutionner plutôt que de laisser les Etats les enterrer ou, au nom du compromis, y répondre à minima, le voilà mis au pilori pour avoir voulu démontrer que l’Union européenne était un véritable partenaire en politique étrangère.
Certes, Lavrov a clairement signifié à son homologue que pour la Russie, l’UE n’est pas « un partenaire fiable » marquant par là-même le mépris que son Président et lui-même ont pour ce qu’ils ne considèrent que comme un assemblage hétéroclite qui ne survivra pas à l’évolution des grands ensembles mondiaux.
Et si le tandem « Poutine-Lavrov » avait commis une faute !
En voulant faire une démonstration de force en plein affaire Navalny, sur le dos de l’UE, ne viennent-ils pas de se couper des pays et des personnalités européennes qui poussaient à une normalisation des relations avec la Russie, notamment à une levée des sanctions économiques qu’elles subies.
Notamment, la Chancelière Merkel et le Président Macron qui considèrent que dans le temps long, un partenariat avec la Russie est inéluctable pour assurer la sécurité et le développement du continent européen.
Au moment où l’Europe, grâce à Donald Trump, a pris conscience qu’elle ne devait compter que sur elle-même et que la seule façon de clore le cycle de la « guerre froide » serait, pour elle, d’avoir à terme un partenariat avec la Russie, une sorte de pacte d’assurance » frontières-sécurité-désarmement » en échange d’une » réelle coopération économique ».
Pour les partisans de ce pari » gagnant-gagnant », le problème n’est pas que la Russie se tourne vers la Chine mais que l’Europe se tourne vers la Russie ! C’est ce que Josep Borrell a tenté. Poutine, empêtré dans l’affaire Alexeï Navalny, au lieu de saisir cette opportunité en est resté au rapport de force habituel et au refus de toute immixtion étrangère dans sa politique intérieure.
Paradoxe de cette situation conflictuelle, la France et la Russie commémoraient le 13 février, l’enterrement des dépouilles de 120 soldats des deux armées, tués lors de la bataille de Viazma, en 1812. Quand les grognards napoléoniens et les soldats tsaristes réconcilient les deux pays, tous les espoirs ne sont-ils pas permis ?
Le Conseil des Affaires Étrangères de l’UE se réunit le 22 février prochain à Bruxelles pour traiter des relations futures avec la Russie. Il y a fort à parier qu’il sera consacré au voyage de Borrell à Moscou et surtout aux Droits de l’Homme.
De nouvelles sanctions punitives à l’égard de la Russie seront comme toujours improductives.
Ne vaudrait-il pas mieux comme l’a proposé le chroniqueur Renaud Girard de commencer par négocier avec elle l’arrêt des opérations menées, à partir du territoire russe, par les « ransomwares », contre les données informatiques des entreprises européennes.
Realpolitik ou poursuite de la guerre froide, les décisions du Conseil européen en écriront la partition à venir.
Michel Scarbonchi