Emmanuel Macron, c’est l’art des tout petits pas présentés comme des révolutions qui vont changer le monde… et la France au passage !
Le gouvernement a déposé un amendement au Sénat à l’occasion du projet de loi relatif à l’élection du président de la République, et ce dès 2022, en vue d’y permettre le vote anticipé durant une semaine, par voie électronique, sur une machine à voter. L’électeur pourrait ainsi se rendre dans certaines communes désignées par arrêté, en France ou à l’étranger, sans être obligé de se rendre au jour J dans son bureau de votre habituel.
Les Américains sont habitués au vote électronique et anticipé, mais ils y ajoutent le vote par correspondance, qui fut source de controverses quant à sa fiabilité, et pas seulement lors du scrutin présidentiel de 2020. Il fut abrogé en France en 1975, peu ou prou pour les mêmes raisons, et a peu de chance d’être réintroduit.
À peine l’amendement a-t-il été déposé que Bruno Retailleau (LR) a dénoncé à l’AFP et sur Twitter la « manœuvre politique », ajoutant notamment que le « vote par anticipation est totalement opposé à la tradition française ». Mais il est des traditions dont il vaut mieux s’affranchir. Du moins faut-il vivre avec son temps.
La pandémie de Covid a changé nos vies, probablement pour longtemps. Nous n’en serons pas sortis au moment des prochaines élections régionales et départementales les 13 et 20 juin prochains (sauf nouveau report pour causes sanitaires que le pouvoir se réserve le droit d’annoncer avec une clause de revoyure déjà prévue en avril). Il est douloureux de se promener virtuellement (sur YouTube) dans les rues du Paris d’avant, avec ses multiples cafés, bars et restaurants, cinémas, théâtres… Tout était si vivant et aujourd’hui si triste, même avant le couvre-feu de 18h.
Le monde d’aujourd’hui, même hors confinement, est largement cloitré. On évite de sortir lorsque cela n’est pas indispensable, de peur d’être contaminé par un variant plus contagieux, voire résistant aux vaccins (qui ne sont pas disponibles en France !). Sur le plan électoral, on a vu le résultat lors des municipales, marquées par une très forte abstention et l’élection de maires qui en temps « normal » n’auraient vraisemblablement pas été élus. Rien ne vide plus un scrutin de sens qu’une forte abstention.
Le Covid, mais aussi l’évolution de la société, devraient inciter les pouvoirs publics à élargir les modalités de vote, non seulement au vote anticipé sur une machine à voter, mais aussi et surtout au vote par correspondance, et surtout au vote en ligne, sur internet. En Estonie, pays le plus connecté d’Europe, 44 % des électeurs ont voté par internet aux élections législatives de 2019.
Certes, on se doute bien que ceux qui remplissent les déclarations fiscales et autres formulaires en ligne pour le compte de leurs grands anciens ne respecteront pas tous leur choix. Les démarches administratives, fiscales, bancaires, commerciales (les achats en ligne) se font bien par tous moyens : en se déplaçant, par correspondance, sur internet… Grâce à des techniques comme le certificat numérique, le chiffrement et à la double authentification, il est possible de se prémunir contre une cyberattaque et garantir l’intégrité du vote.
Quant au moment solennel et citoyen qu’est le vote classique, dans un bureau de vote, il a perdu de sa superbe avec le Covid et même hors Covid, avec la montée régulière de l’abstention, hors (pour le moment) élection présidentielle.
Diversifier les méthodes de vote, jusqu’au vote en ligne, n’est-ce pas un risque qu’il est devenu urgent de prendre ? Les effets indésirables ne sont-ils pas négligeables au regard des bénéfices attendus, un peu comme le vaccin contre Covid ? L’abstention est un Covid et même un cancer de la démocratie, même si celle-ci doit aussi résister à la peste et au choléra que sont les partis extrémistes ?
Il serait souhaitable que le prochain scrutin régional soit l’occasion d’un banc d’essai du vote en ligne, en complément des autres modes de vote. Nous avons certainement les outils informatiques pour le mettre en place, de façon aussi sécurisée que les déclarations fiscales et le paiement de l’impôt sur internet. En cas de réussite, au demeurant très probable, rien ne s’opposerait à généraliser la diversification de ce geste citoyen, et qui restera tout aussi citoyen s’il est accompli sur internet, lors de la présidentielle de 2022.
Monsieur Retailleau, la tradition de la France est de voter et non de s’abstenir. Elle était aussi d’être à la pointe du progrès technique. Mais ce n’est pas parce que nous avions le minitel avant que le monde ait internet qu’il nous faut garder le minitel au nom de la tradition.
Vivons et votons avec notre temps !
Michel Taube