Quand le droit (et donc la loi) peut faire bouger les lignes…
La RSE, ou responsabilité sociale des entreprises. Voici un thème qui ne déchaîne les passions qu’à l’occasion d’un clash sévère, par exemple lorsqu’une entreprise française est accusée de pratiques que la morale et l’éthique réprouvent, en particulier à l’étranger : pollution, conditions de travail, relations troubles avec l’autocratie au pouvoir, parfois même complicité de terrorisme… La RSE ne concerne évidemment pas que les entreprises françaises implantées à l’étranger, mais force est de reconnaître que hors de nos frontières et hors événement médiatisé, la RSE ne semble avoir de responsabilité que le nom. Bref le green washing, ou le social washing, a encore de beaux jours devant lui…
Cela va peut-être changer, grâce à une proposition de loi inédite initiée par le député MoDem Philippe Latombe. Elle a le mérite de la grande simplicité. Pas d’usine à gaz juridique, mais un article unique, fruit d’un travail juridique approfondi avec étude d’impact :
Article unique :
Ce texte sera ajouté dans le livre troisième du Code civil, au sous-titre II du titre III, à la fin du Chapitre premier relatif à « La responsabilité extracontractuelle en général » :
« Toute entreprise qui, du fait de son activité économique, porte atteinte aux lois et aux bonnes moeurs, est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.
En présence d’un élément d’extranéité, le demandeur peut saisir la juridiction compétente du pays où est survenu le dommage ou son fait générateur. »
Cette proposition, le député Latombe, qui par ailleurs est à la tête de la mission parlementaire sur la souveraineté numérique de la France, souhaite la présenter sous la forme d’un amendement au projet de loi Climat et résilience défendue par la ministre de la transition écologique Barbara Pompili, projet dont la vocation est de renforcer la protection judiciaire de l’environnement. En France, où les conditions de travail ne sont pas les pires de la planète, la RSE relève principalement du droit de l’environnement. Pollueur = payeur, le principe n’est pas nouveau. Il est d’ailleurs largement entériné par la jurisprudence.
Alors que, paradoxalement, cette proposition crée peu de nouvelles obligations à l’égard des entreprises qui respectent déjà nos règles juridiques est un acte politique majeur. Elle s’inscrit en effet dans le courant de l’écologie politique réelle, là où les prétendus écologistes qui veulent laver plus vert (pardon, plus rouge) que vert (vous savez, la fameuse pastèque…), ont fait de l’environnement un prétexte à leur combat idéologique et dogmatique, plus proche de la France Insoumise que de Greenpeace, quand ils ne sombrent pas dans le ridicule, à l’image des initiatives de quelques maires EELV. L’écologie, cela ne devrait pas être davantage la méthode d’Anne Hidalgo, qui veut obliger tous les Parisiens à se mettre au vélo, quitte à créer artificiellement des embouteillages et ainsi à aggraver localement la pollution.
L’écologie ne peut être ni punitive ni déclarative. Il existe donc un espace, celui où le souhaitable rejoint le possible, espace dans lequel peut prospérer la responsabilité sociale des entreprises. Et c’est dans cet espace que s’inscrit la proposition de loi visant à inscrire la RSE dans le Code civil, en l’assimilant à la responsabilité civile traditionnelle : dès lors que le dommage et son origine (le fait générateur et le lien de causalité, dirait le juriste) sont avérés, le responsable doit assumer, donc payer. Cela peut parfois prendre une dimension pénale, comme en matière de pollution volontaire, mais sur le plan civil, il est impératif que l’entreprise soit toujours obligée de réparer le préjudice né de ses agissements, de son inaction, de sa négligence, de sa suffisance, de l’irrespect de nos lois et de nos valeurs…
Le fait que cette responsabilité soit déjà admise ponctuellement par les tribunaux, avec toutes les nuances et hésitations propres à la jurisprudence, ne suffit pas à une véritable prise de conscience par les entreprises. Nous disons bien « entreprises » car la qualification de « personne morale » que retient aujourd’hui le droit, est paradoxalement trop étroite, trop générique, pour ne pas laisser de failles dans lesquelles s’engouffrent parfois les avocats spécialisés en droit des sociétés : « c’est pas moi, c’est ma filiale ! » Il est donc important et même urgent de mettre les points sur les « i » et les barres sur les « t », en inscrivant dans le marbre de la loi la responsabilité sociale, en réalité principalement environnementale, des entreprises, en tant que responsabilité civile à part entière, et en l’étendant aux entreprises françaises à l’étranger comme aux entreprises étrangères en France. L’extraterritorialité du droit ne peut être le privilège des seuls États-Unis d’Amérique !
La crise sanitaire, le séparatisme et le terrorisme ne doivent nous faire oublier que l’environnement est et restera longtemps le plus grand défi que doit relever l’humanité. Les entreprises sont considérées comme des ennemies par les Verts dogmatiques, alors qu’elles détiennent la clé de l’économie vertueuse et respectueuse de l’environnement, qui fera avancer la cause écologique bien plus que les postures et mesures caricaturales de nos écolos autoproclamés. Mais il faut parfois leur donner un petit coup de pouce, ce que permet précisément cette proposition de loi.
Certes, les entreprises crieront peut-être au loup. Mais, mais pour tout libéral (et nous le sommes franchement sur le plan économique), la liberté a une contrepartie : la responsabilité.
Les entreprises verront peut-être leur assurance responsabilité civile exploser et, donc, au final beaucoup d’entre elles se défausseront sur leurs primes plutôt que sur les actes que la dissuasion provoquée par cette loi susciterait.
Mais il est urgent (pardon, urgentissime pour Nicolas Hulot et consorts) de faire bouger les lignes. Entre le green washing du quinquennat Macron et les Ayatollah à la Hidalgo ou à la Europe Ecologie Les Verts, il y a une troisième voie qui peut tenir en un mot : responsabilité !
Michel Taube