Sauvons l’art de vivre dans nos bistrots Cette semaine, le CPEI (Comité ethnologique du patrimoine immatériel) du ministère de la culture de la République française devait rendre son verdict sur l’inscription de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France au patrimoine culturel immatériel français. Etape préalable à l’inscription à l’UNESCO. Pour l’instant silence de la rue de Valois, trop occupée, nous imaginons, à préparer la réouverture des salles de spectacles après 36 expérimentations qui s’étaleront dans les prochains mois… Pétition, message vidéo au président de la République : Alain Fontaine, président de l’association « Bistrots et cafés de France » qui a présenté cette inscription, fait feu de tout bois. Il est aussi président de l’Association française des (4000) maîtres restaurateurs (AFMR), et à la tête d’un bistrot parisien, Le Mesturet, entre Palais Brongniart et Opéra, qui sert l’excellence : goûteux, généreux, produits frais, esprit des pays de France. On adore ! Contraint au click and collect, comme beaucoup d’autres bistrotiers que nous saluons comme Sabrina et Mouss du Bac Saint-Michel en face du Luxembourg, ou près du Val-de-Grâce, Sylvain et la bande à Nono au Gamin de Paris. Avec ces bistrots, c’est Paris qui se bat pour survivre ! Alors, Madame Bachelot, engagez-vous pour nos bistrots ! Michel Taube
Notre Paris ne brûle plus du feu des passions qui se cachent au fond de ses troquets, des caresses sous leurs tables et des baisers volés sur leurs banquettes en skaï. Paris ne vibre plus des voix des promeneurs qui chantent sous la nuit en retournant chez eux. Souvent gais. Parfois heureux. Paris ne crépite plus des débats qui n’en terminent pas aux zincs de ses bistrots, ne grésille plus des cigarettes oubliées dans le cendrier. Ne nous y trompons pas : Paris ne s’est pas assagi de toutes les régulations qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des interdictions ; de toutes ces limitations au nom du « vivre ensemble » qui condamnent finalement à ne plus vivre du tout. Paris ne s’est pas transformé. Non. Paris s’est soumis. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Ni de cette dernière année à vous rendre cinglés.
Pourtant, cette dernière année pourrait donner à Paris – tel qu’on le reconnaît sur les écrans, pas que français, et dans la littérature ; Paris, où l’on se reconnaît – la dernière estocade. Car Paris se consume de tant d’absence et de silence. De la vie qui s’est retirée de ses rues et ses avenues, comme le sang qui reflue sous le coup d’une sale émotion. Alors, bien sûr, au passage, ce qui fait de Paris Paris, ses terrasses, ses comptoirs de bar, menacent de disparaître pour n’être plus que souvenirs*.
Il y avait déjà eu les attentats meurtriers de novembre 2015, dont les activités nocturnes ne s’étaient pas vraiment relevées. Et aujourd’hui, l’épidémie. Depuis de longs mois maintenant, de couvre-feu en confinement, nos dirigeants s’acharnent. Au nom de notre santé, ils tuent autour de nous les sources de plaisir. Celles qui nous aident à traverser les peines et les épreuves. Celles pour qui on s’accroche à la vie malgré tout.
Alors, me direz-vous, pourquoi défendre le bistrot, plutôt que les restos ou le cinéma par exemple ? D’abord l’un n’empêche pas les autres. Ensuite parce que les voix des bistrotiers portent moins loin que celles des célébrités. Enfin parce qu’ils sont le symbole d’un art de vivre populaire. Le bistrot, c’est l’endroit où le fêtard s’accoude pour avaler un dernier verre, à moitié endormi, avant de rentrer chez lui. À côté de lui, un ouvrier boit sur le pouce un petit noir, pour bien se réveiller, avant d’aller embaucher. Aux zincs de nos bistrots, se croisent, se côtoient, se parlent des gens qui n’ont rien en commun, que ce bout de comptoir.
Président de l’Association des bistrots et cafés de France, Alain Fontaine explique qu’à leur manière les bistrots étaient des réseaux sociaux avant les réseaux sociaux. Mais bien plus conviviaux que les plateformes numériques, « où l’on reste entre soi ». Les bistrots parisiens sont des lieux de brassage humain. Ils sont une tradition, près de deux cents ans d’âge. Ils méritent qu’on les sauve. C’est à cela que s’emploie ce maître restaurateur avec l’action qu’il mène pour obtenir leur inscription au patrimoine français, la pétition qu’il a lancée et son adresse directe au président Macron. Levons ensemble notre verre à cette initiative, mais pas avant d’avoir ajouté notre signature au bas de sa pétition.
Catherine Fuhg
* Ils étaient 400 000 en 1945. Ils sont 40 000 aujourd’hui.