La jeune démocratie haïtienne est mise à rude épreuve. Non pas seulement à cause des dissensions politiques internes et du climat délétère qu’elles génèrent. Mais plus insidieusement, à cause de cette logique à front renversé où certaines critiques politiquement motivées, affublent du nom de dictateur un président qui ne demande qu’à organiser des élections et passer le pouvoir à un autre président élu à l’échéance de son mandat le 7 février 2022.
Pourtant, le risque réel est de voir le pays se précipiter dans un chaos généralisé. Car les institutions nationales sont laminées sous les assauts répétés de trois facteurs : l’envie de pouvoir de certains politiques qui n’entendent plus s’embarrasser des échecs essuyés lors des joutes électorales ; les intérêts lésés de quelques oligarchies locales ; et enfin certaines pulsions anarchiques nourries par le chômage de masse. Ainsi, la démocratie se trouve-t-elle en danger en Haïti sous les effets conjugués de ces trois facteurs qui alimentent l’instabilité sévissant en ce moment.
Une fausse controverse
La controverse autour de la fin du mandat du Président Jovenel Moïse est en réalité une fausse querelle car les vrais enjeux sont ailleurs et ne concernent pas véritablement une question de date mais plutôt les facteurs évoqués plus haut. Une simple analyse des faits à la lumière même des textes de loi montre qu’il n’y a pas vraiment matière à controverse ni sur la date ni sur la durée du mandat présidentiel.
Selon la Constitution haïtienne, « la durée du mandat présidentiel est de 5 ans. Cette période commence et se termine le 7 février suivant la date des élections » (Art. 134-1). Le président Jovenel Moïse est entré en fonction à la date constitutionnelle du 7 février pour une durée également constitutionnelle de cinq ans. L’année de son entrée en fonction est 2017, donc l’année de la fin de son mandat est sans conteste 2022.
Cependant, la fausse controverse est alimentée par la tentative d’instrumentaliser la Constitution même (à travers son article 134-2). L’article 134-2 dit en effet qu’au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection.
Utilisant cet article, certains essayent d’entretenir une certaine confusion à dessein alors même que Jovenel Moïse est entré en fonction à la date constitutionnelle du 7 février et non après. D’où peut donc venir la confusion ? Pour la déconstruire, il nous faut considérer les faits suivants :
Le 2 octobre 2015 a lieu le premier tour de l’élection présidentielle avec les résultats préliminaires suivants : le candidat Jovenel Moïse obtient 32,81% des voix exprimées et Jude Célestin 25,27%. Le président n’est pas élu dans ces élections de 2015 comme le soutiennent certains médias, mais est admis au second avec une nette avance sur tout le monde.
Dès la publication de ces résultats, certains protagonistes politiques s’y opposent en alléguant qu’il y a eu des « fraudes massives » aux élections. Tous les observateurs internationaux (ONU, OEA, UE) ont dit qu’ils n’ont pas constaté de « fraudes massives ».
Annulation du scrutin présidentiel de 2015 et élection de Jovenel Moïse au premier tour d’un nouveau scrutin en 2016
Sous la menace de blocage et de recours à la violence, les protagonistes de l’opposition politique ont fini par obtenir l’annulation du premier tour de la présidentielle à partir des recommandations de la Commission indépendante d’évaluation et de vérification électorale (CIEVE). En effet, dans son rapport final du 30 mai 2016, la CIEVE a recommandé la reprise du processus électoral présidentiel en procédant à la tenue d’un nouveau premier tour et, le cas échéant, un second tour. « Cette décision de la CIEVE, selon l’OEA, impliquait l’annulation formelle de l’élection présidentielle du 25 octobre passé [2015] et non une poursuite du processus ».
De fait, le 6 juin 2016, l’élection présidentielle de 2015 est officiellement annulée par le président du nouveau CEP, provoquant un tout nouveau scrutin. Ce scrutin est ensuite fixé pour le 5 octobre 2016, puis reporté après le passage de l’ouragan Matthew et fixé à nouveau au 20 novembre, suit plus d’un an après.
Le candidat Jovenel Moïse est alors élu au premier tour du nouveau scrutin présidentiel de 2016, avec 55,67 % des suffrages, selon les résultats officiels validés le 3 Janvier 2017 par le nouveau CEP puis publiés le 4 janvier 2017 dans le Moniteur (Journal officiel de la République D’Haïti).
Le 7 février 2017, le Président provisoire chargé d’organiser les élections, Mr. Jocelerme Privert transmet le pouvoir au président élu démocratiquement, Jovenel Moïse. Selon l’ONU « L’entrée en fonction, le 7 février 2017 du nouveau Président Jovenel Moïse, a marqué le rétablissement de l’ordre constitutionnel et la conclusion de la période de gouvernement provisoire, qui durait depuis un an sous la conduite du Président provisoire Jocelerme Privert ».
Somme toute, le Président Moïse a été élu au premier tour du nouveau scrutin présidentiel de 2016 et est entré en fonction à la date constitutionnelle du 7 février 2017 selon les vœux de l’article 134-1.
Nécessité d’une pédagogie de l’alternance démocratique
Aujourd’hui, en plus des problèmes économiques, politiques et sociaux traditionnels, Haïti est victime d’une sorte de piège de la vilipendaison. Il devient alors facile de stigmatiser un président haïtien en le traitant de dictateur alors même qu’il n’a aucune volonté d’être candidat à sa propre succession.
C’est en raison du piège de la vilipendaison que certains se croient autorisés à appeler la communauté internationale à acculer le Président Moïse en le traitant de dictateur.
Pour certains spécialistes autoproclamés, tout ne peut être noir lorsqu’il s’agit d’Haïti.
C’est à cause de cette logique, que ces critiques d’Haïti parlent de silence assourdissant de la communauté internationale alors que celle-ci dit clairement, que le mandat du président se termine en 2022. Comme quoi, si les pays amis ne se prononcent pas en faveur d’un énième pouvoir de transition en Haïti, ce qu’ils disent ne méritent pas d’être entendu.
En effet, la communauté internationale a raison de ne pas soutenir un énième coup de putsch en Haïti. Le retour aux vieilles formules de gouvernement provisoire ne peut qu’ouvrir à une période de régression. Les pourfendeurs de la voie des urnes au profit des formes de pouvoir de transition se dérobent aux règles du jeu démocratique. La fausse querelle autour de la durée du mandat présidentiel ne peut malheureusement que continuer les effets de l’instabilité chronique.
Ce qui se joue en ce moment en Haïti concerne l’impérieuse nécessité d’une pédagogie de l’alternance démocratique. Haïti est à un tournant où nous avons besoin de tous nos amis, médias et institutions internationales pour nous aider à relever le défi de faire entrer dans les mœurs politiques haïtiennes le respect des urnes. Il y va de l’avenir de la démocratie en Haïti.
Il est extrêmement urgent d’aider Haïti à réaliser en cette année 2021 des élections démocratiques et inclusives, tout en faisant de la pédagogie de l’alternance démocratique un chantier politique national.
Josué Dahomey,
Ambassadeur de la République d’Haïti en France