Maniant la litote comme Anne, ma sœur Anne qui feint de ne rien voir venir, le président de la faculté de Nanterre, Philippe Gervais-Lambony, évacue la question des dérives anti-républicaines à l’œuvre dans le monde universitaire par le constat que la minute de silence en hommage à Samuel Paty n’a, sur son campus, « posé aucun problème »[1]. Ce ne fut certes pas le cas partout.
Il est des surdités qui valent bien des cécités. Des épidémies de petites lâchetés au quotidien qui ne disent pas leur nom. Certains virus sont sournois. Interdisant tout à la fois la parole et l’écoute, ils tentent de réduire l’expression démocratique au silence. Ils y arrivent parfois. Variant du « circulez, y a rien à voir », l’évitement du président d’université illustre la difficulté d’entendre des vérités trop dérangeantes. Remise en cause de la laïcité dans l’espace public, exclusion ou admission de personnes de réunions ou activités selon le sexe, le genre, ou encore la religion supposée, voire la couleur de peau, études pseudo-scientifiques sur la base de préjugés dogmatiques, etc. La pente est rude. Et la chute, toujours à l’œuvre tant le puits est profond, sans bruit. Chut.
Relire George Orwell peut être un antidote. Le relire à haute voix serait même une réassurance de bonne santé auditive. En guerre face aux mensonges de ceux qui s’en prennent à la liberté de pensée, l’écrivain, commentateur du monde tel qu’il ne va pas toujours très bien, souligne que « ce qui est réellement en jeu, c’est le droit de rendre compte d’événements contemporains de manière véridique, ou du moins aussi véridique que le permettent l’ignorance, les préjugés et les illusions dont aucun observateur ne peut totalement se défaire ».[2] C’était au lendemain de la Seconde guerre mondiale. C’était en 1946. La leçon de prudence et d’humilité face aux présupposés et autres dictatures de la pensée est-elle encore entendable en France aujourd’hui ? Est-il possible de s’interroger, de débattre, c’est-à-dire d’échanger, parler et écouter l’autre ? En bref, se livrer un instant au doute ? Admettre la possibilité de se tromper ? Accepter d’avancer un pas l’un vers l’autre ? Un doute de soi qui peut durer le temps d’une discussion ? Aller au-delà de l’ignorance, des préjugés, des illusions… Aller au-delà de l’onanisme de la pensée qui, peut-être, rendrait sourd ?
Blague à part, « débattre ». Quel joli mot ! L’inverse de combattre, l’opposé de se soumettre. S’adresser à l’autre, non pour l’assommer de vérités premières, mais bien plus douter de soi-même à la lumière d’une raison partagée, comme se renvoie l’échos, nuancé mais enrichi, d’une montagne à une autre. La réflexion plutôt que l’inflexion. La raison plutôt que l’émotion. La passion partagée de la discussion. C’est quand même un autre programme que le simiesque « je ne vois rien, ne dit rien, n’entend rien ». Si les singes partagent avec les moutons des vertus mimétiques, la philosophie des uns et des autres n’a rien à voir avec l’exercice de la démocratie.
« Débattre », quel beau programme. Un remède ouvert à tous face à l’assertion de convictions réduites à une pensée unique et irréductible. Une médecine citoyenne face aux généralités de tous poils où tout se perd dans tout, et qui ne sert que les esprits étroits.
Triste coïncidence, le 16 octobre 2021, date de l’assassinat de Samuel Paty, l’Université Paris-Nanterre signait le partenariat avec un club de natation de haut niveau en préparation des JO de 2024, vantant la piscine olympique dont bénéficie le campus, celle-là même qui n’acceptait, tous les dimanches matin de 2017 à 2020, que des femmes, et encore, que celles se baignant en « burkini ». Il est des minutes de silence plus longues que d’autres. A bon entendeur…
[1] Le Figaro Magazine, Fac de Nanterre : le labo de l’extrême gauche, 12 février 2021.
[2] G. Orwell, Où meurt la littérature, 1946.
Olivier Peraldi, co-fondateur de l’Institut Chiffres & Citoyenneté, écrivain et essayiste