À ses prémices, le féminisme pouvait paraître simple. Opprimées, depuis des siècles, les femmes s’organisèrent pour réclamer une liberté, qu’elles décomposaient en droits : de disposer de soi, d’avoir un compte en banque, d’hériter, de voter, de travailler… Un cahier des charges précis, pratique. Leurs revendications, remettant en question les prérogatives masculines, suscitèrent une résistance acharnée, souvent violente, du camp des hommes. Et pas seulement, d’ailleurs. Même délétère, l’ordre établi a quelque chose de rassurant, les bouleversements d’angoissant.
En questionnant les fondements du mode patriarcal, les féministes des débuts ouvrirent la boîte de Pandore. Savaient-elles à l’époque déjà que les changements techniques, en termes d’égalité et de répartition des rôles, ne règleraient pas le problème ? Et qu’ils impliqueraient de multiples ajustements en termes de mentalité ? Sans doute pas. Et tant mieux. La conscience de l’immensité de la tâche à accomplir aurait pu les refroidir. Quoiqu’elles n’aient manqué de bravoure.
Heureusement, depuis que la terre a commencé à trembler sous les pieds du patriarcat, beaucoup de choses ont évolué. Et les résultats sont là. Aujourd’hui, les bases sont admises, du moins dans les discours. Personne ou presque en occident n’avoue ouvertement rejeter l’égalité. Certains relativisent. Égaux mais différents. Égaux mais pas en tout. Parfois aussi « moins égaux », comme au niveau des salaires. La bataille n’est pas terminée, mais en bonne voie, continuez.
Cependant, les suffragettes nous ont laissé à craquer des questions sacrément complexes.
Arrêtons-nous, s’il vous plaît, juste un instant, sur ce mot qui s’est glissé, l’air de rien, dans le langage courant. Pourtant, il n’est pas innocent. Il est né sous la plume d’un journaliste britannique, Charles Hands, qui l’a inventé pour railler celles qui demandaient justement à être prises au sérieux. Pour leur montrer ce qu’il pensait de leur avis, de leur suffrage, il leur collait un « ette » aux fesses. Et pan, sur le bec, les minettes. Le mot fut adopté, y compris par les femmes : c’est qu’en plusieurs milliers d’années elles ont largement eu le temps d’apprendre la résilience.
Mais venons-en aux questions qui font actuellement débat parmi les féministes, et qui déchirent leur mouvement, comme s’il pouvait se permettre le luxe de la division. Par exemple, la question du « droit » à se prostituer ou porter le hijab. Ce n’est pas une provocation. La réunion de ces sujets n’est pas si incongrue qu’elle y paraît à première vue. D’une part parce que les deux pratiques réduisent les femmes à leur sexe. Et que pour les défendre, on (ab)use du même argument : le droit conquis de haute lutte des femmes à disposer de leur corps. Amusant, non ? Ce point de vue « féministe » se réclame de la liberté des femmes de se soumettre, de se vendre, de s’avilir, de ne pas s’appartenir.
Féministe, je suis et ne crains pas de le dire, n’en déplaise à ceux que ce mot semble encore hérisser. Mon féminisme est viscéral, comme mon aspiration à la libération et à l’égalité des peuples, et son fondement humaniste. Il ne s’oppose pas aux hommes, seulement aux injustices. C’est au nom de ce féminisme que je rejette ces arguments. Je ne nie pas, bien sûr, que notre corps nous appartient. Sauf que ce n’est pas lui qui choisit de se livrer à des caresses non désirées, ou de se laisser enserrer, ensevelir dans des tissus. Notre corps ne fait qu’obéir aux injonctions de notre esprit. Et notre esprit souvent répond à des voix étrangères. Des voix venues du passé, de notre tradition, de notre éducation et de la société dans laquelle nous évoluons.
Aussi pour trancher ces questions, devrions-nous en référer à des repères moraux, universels, fondamentaux, non idéologiques, et éviter de nous noyer dans le relativisme.
Catherine Fuhg