Sur le front militaire, les armes se sont, enfin, tues.
Sur le front politique, le Forum de Genève a abouti, à la surprise générale, à la désignation d’un « binôme d’outsiders », Mohamed Younes El Menfi, représentant la Cyrénaïque, comme Président du Conseil présidentiel, et Abdulhamid Dabaiba, représentant de Misrata comme Premier Ministre.
Ce « ticket » a été désigné par les 75 membres du Dialogue politique mis en place par l’ONU, contre les favoris du scrutin, Aguila Saleh, Président de l’Assemblée Nationale libyenne, et Fathi Bachagha, ministre de l’intérieur de Tripoli.
Comme prévu par la feuille de route du Forum, le nouveau Premier ministre doit remettre, le 8 mars, la composition de son gouvernement au Parlement pour que ce dernier lui vote la confiance. En cas d’échec, il aura jusqu’au 19 mars pour l’obtenir.
En cas de succès—ce qui reste probable puisque le maréchal Haftar a adoubé le binôme—commenceront pour lui et son équipe les « 12 travaux d’Hercule ».
En effet, la tâche est immense ! Réunifier le pays, réconcilier les Libyens, sécuriser toutes les provinces, redresser l’économie, organiser les élections présidentielle et législatives dans une Libye détruite par dix années de guerre.
Désignation des lieux de sièges du Parlement et du Gouvernement, désignation du gouverneur de la Banque Centrale, du président de la Société Nationale du pétrole (NOC), désarmement des milices de Tripoli, départ des forces étrangères—militaires turcs, mercenaires islamistes syriens, mercenaires de la société Wagner-, transformation de l’ALN (Armée de Libération Nationale) d’Haftar en Armée nationale libyenne, sous la direction ou non du maréchal sont les dossiers sensibles à résoudre.
Mais le premier d’entre eux sera l’adoption par l’Assemblée Nationale d’une nouvelle Constitution, intégrant un code électoral et la création du poste de Président de la République ainsi que le cadre juridique, social et politique de cette nouvelle République.
Pour ce faire, la Libye ne manque pas d’atouts, sa faible population—sept millions d’habitants–sa rente pétrolière avec plus de 2 millions de barils produits avant l’attaque de l’ALN sur Tripoli, la force et la volonté d’unité de ses tribus dans un pays fortement marqué par leurs gouvernances.
Certes, les obstacles ne manquent pas. Le premier d’entre eux est représenté par les milices de Tripoli qui ont fait fortune avec la guerre et tous les trafics qu’elle a générés—migrants, drogue, armes, esclavage, prostitution—et qui vivant de la « rente du chaos » ne veulent pas de la paix. L’affrontement, à Tripoli, entre Sarraj et Bachagha en est l’illustration, l’ancien ministre de l’intérieur venant d’échapper, le 21 février, à un attentat près de Janzour.
La grave crise économique avec l’inflation galopante, les coupures d’électricité, les pénuries d’essence, n’est pas la moindre des difficultés à venir.
Le slovaque Jan Kubis, nouvel émissaire de l’ONU se veut, malgré tout, optimiste.
Mais les deux plus grands défis qui attendent les nouvelles autorités libyennes ne vont-ils pas résider dans la nature de la présence dans le pays de la Russie et de la Turquie ? Ces « deux frères ennemis » des guerres de Syrie, d’Arménie et de Libye vont-ils se contenter de l’obtention, par les deux parties libyennes en guerre, de bases navales et d’aérodromes militaires dans le pays ou voudront-ils plus, au moment où les Etats-Unis de Joe Biden exigent le départ de Libye de toutes les forces étrangères ?
Outre la participation à l’exploitation pétrolière ou gazière de futurs gisements déjà identifiés, les deux puissances souhaiteront être actives dans l’immense chantier de la reconstruction des villes dont certaines ont été détruites à 30%, d’autres à 80%.
Quid de l’Union européenne et de la France dans cette zone—Méditerranée, Sahel – si stratégique pour notre avenir ? L’UE pour ne pas avoir pris, en temps voulu, le dossier libyen à bras le corps, sera, au pire spectatrice, au mieux contributeur financier à la reconstruction du pays.
Quant à la France, le Président Emmanuel Macron aura, à la différence de ses deux prédécesseurs, l’un—Nicolas Sarkozy—qui y a fait la guerre, l’autre—François Hollande—qui n’a pas su ou voulu y faire la paix, eu le mérite de s’investir totalement dans la crise libyenne, certes en soutenant le camp anti-islamiste au nom de la lutte contre le terrorisme.
Pouvons-nous être présent dans la reconstruction des infrastructures vitales du pays ou dans le secteur énergétique ? Sûrement !
Mais l’essentiel n’est-il pas que le pays retrouve la paix et la sécurité après tant d’années de guerre et de destructions ?
Les prochains jours seront déterminants pour apprécier si la Libye, convalescente, est réellement sur la voie de la guérison.
Michel Scarbonchi
Ancien député européen, consultant international