En planchant sur le sujet, j’ai repensé aux histoires que me racontaient mes vieux – ne vous offusquez pas, sous ma plume, c’est affectueux. Dans leur ville d’origine, avant les HBM, habitations bon marché ancêtres des HLM, ils vivaient avec leur famille dans une pièce unique qui faisait fonction à la fois de salon, salle à manger, chambre à coucher, atelier. Le reste se passait dehors, sur la terrasse qui, autour d’une petite cour commune, desservait les appartements. Le tout en un alors n’était pas un gadget mais une nécessité. À l’aube, ils empilaient les matelas contre un mur, et le soir ils les étalaient, pour s’y coucher côte à côte. Pas question de tirer sa flemme le temps d’une grasse matinée, de laisser son lit débraillé, ni de s’affaler pour une sieste digestive dans l’après-midi. Et pas question non plus de déserter la chambre, après une dispute conjugale, avec couette et oreiller pour se réfugier au salon. Ils réglaient, ou pas, le problème à coup de chuchotis – « Moins fort, Edmond, les enfants ! » –, puis se tournaient le dos. Rayon intimité, ils n’étaient pas gâtés. Mais ne s’en plaignaient pas. Ce mot était un luxe qu’on ne connaissait pas là-bas. En rêvaient-ils ? Je ne crois pas. Leurs récits gorgés de chaleur, de rires et de tendresse, respiraient une telle nostalgie, que parfois je les enviais.
Ce détour par la case souvenir-souvenir me donne envie d’attribuer à mes anciens orientaux, l’origine du canapé-lit. Mais la rigueur me l’interdit. En effet, après des recherches, j’ai découvert que nous devons cette invention formidable à un monsieur Ducrot, pas celui qui se décarcasse – qui étaient deux d’ailleurs, Gilbert et Marc, et portaient un « s » à la fin. Ce Ducrot-là, Albert, diplômé de l’école des Arts et Métiers de Châlons-sur-Saône, a commencé par convertir les fauteuils en méridiennes, et de fil en aiguille, puisqu’il était tapissier, il en est arrivé à la banquette Merveille, avec coffre intégré pour ranger le matelas. Banquette qui, en plus de faire lit, fit bientôt un tabac à la Foire de Paris. Le brevet en fut déposé.
Depuis, le monde a évolué, mais les problèmes de place ne se sont pas dissipés, loin de là. Les loyers crevant les plafonds dans les villes qui concentrent le plus de population, les familles se voient à nouveau obligées de s’entasser dans quelques mètres carrés. Optimiser l’espace devenu une priorité, l’intérêt du public pour les meubles pliables, ajustables, escamotables, va toujours grandissant. Les fabricants de lits ne s’y sont pas trompés. Conscients des exigences de la clientèle actuelle, ils se sont fixé l’objectif de développer des canapés dont la « conversion » pourrait s’opérer en un tour de main, et pas au prix d’un tour de reins, et le couchage offrirait un confort de vrai lit, sans négliger non plus le style. Cet objectif, ils l’ont atteint. Aussi, pourquoi s’en priver ? Même sans problème de place. Dans ce cas, il sera un atout convivialité, s’ouvrant à des amis fatigués, ou éméchés, après une soirée prolongée.
Catherine Fuhg