Avec le coronavirus, un autre mal insidieux, qui rongeait notre société depuis de nombreuses années, est entré dans une phase aigue, critique, causant l’irréparable et menaçant de laisser de terribles séquelles : le racisme anti-asiatique.
En France, il a commencé à se révéler au grand jour en juin 2010. La communauté chinoise, cible privilégiée, pour des raisons ethniques, d’agressions crapuleuses, revendiquait le droit à la sécurité, sortant pour la première fois de son silence habituel. La parole se libérait sur ce racisme « ordinaire », c’est-à-dire bête, méchant, cruel, répugnant, parfois aussi violent, dont les Chinois étaient victimes au quotidien. En 2016, l’assassinat à Aubervilliers en pleine rue d’un couturier chinois avait à nouveau provoqué la colère de cette communauté. En 2019, une autre affaire fit la une des journaux. On découvrait qu’à Vitry-sur-Seine, certaines bandes avaient inscrit l’agression d’une femme asiatique parmi leurs rites initiatiques. Pourquoi les Asiatiques ? « Parce qu’ils ont de l’argent. » Mais depuis la Covid 19, les racistes ont inventé une nouvelle excuse au déchaînement de leur violence, verbale ou physique, contre cette communauté.
En janvier, avant donc le déferlement de la première vague de Covid sur le territoire français, Le Courrier Picard titrait sa une avec « Alerte jaune » et son éditorial, « Le péril jaune ? ». Leurs excuses qui s’ensuivirent n’effaceront pas cette honte.
Peu après, pendant le premier confinement, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne signalait dans un rapport : « La pandémie de Covid-19 a déclenché une augmentation des incidents racistes et xénophobes contre les personnes (perçues comme) étant d’origine chinoise ou asiatique, y compris des insultes verbales, du harcèlement, des agressions physiques et des discours de haine en ligne ».
À l’aube de la deuxième vague pandémique, en octobre 2020, l’Association des jeunes Chinois de France rapportait les menaces multiples, et qui se multipliaient, dont leur communauté faisait les frais. Sur les réseaux sociaux circulait alors un appel à « tous [les] renois et rebeus du 91, 92, 93, 94, 95, à agresser chaque Chinois » qu’ils croiseraient dans la rue. À la même époque, une Française d’origine vietnamienne racontait sur le plateau de Quotidien l’agression dont elle avait été victime : à un arrêt du bus, un couple l’avait insultée, lui criant d’aller « manger du chien en Chine » entre autres, et l’accusant de l’arrivée du Coronavirus en France ; les agresseurs ne s’étaient pas contentés de paroles, coups et crachats avaient suivi. Nous ne disposons pas des chiffres pour mesurer l’ampleur de la recrudescence de ces crimes anti-asiatiques, mais nul ne met en doute aujourd’hui sa réalité.
Cependant, les Français n’ont pas le monopole, ni la palme, dans ce domaine. En Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Australie, au Brésil, au Kenya… le racisme est une tare généreusement partagée. Ainsi, aux États-Unis – « première puissance mondiale » autoproclamée « plus formidable pays du monde » – dès le début de la crise, les associations de droits de l’homme et même le FBI alertaient les pouvoirs publics sur une probable montée en puissance des attaques dirigées contre la communauté asiatique. Le 14 mars 2020, au Texas, trois personnes d’une famille asiatique, dont deux enfants de 2 et 6 ans, étaient poignardées dans la rue. Pour le suspect « les Chinois étaient coupables d’avoir propagé le virus ». Il faut dire que Donald J. Trump, le président d’alors, avait donné le ton surnommant la Covid 19 le « virus chinois ». Les USA déplorent 2 808 agressions anti-asiatiques pour la seule année 2020. Entre mars à mai 2020, la Californie – 15 % des Californiens sont d’ascendance asiatique – recensait 800 agressions pour motifs racistes contre cette communauté. La peur est entrée dans le cœur de cette population, la forçant à adopter de nouveaux comportements – prudents ! –, comme la restriction des sorties au strict minimum, surtout le soir et la nuit.
Ce sentiment de terreur a atteint son paroxysme mardi soir dernier, lorsqu’un jeune Américain âgé de vingt et un ans s’est lancé dans une équipée meurtrière à Atlanta, et alentours, tuant 8 personnes dont 6 femmes asiatiques. Depuis son arrestation, le tueur nie que le racisme lui ait dicté cet acte horrible, mais la police n’a pas encore éliminé ce motif. Quoi qu’il en soit, la communauté asiatique déjà profondément choquée par les expressions, verbales ou physiques, de haine à leur encontre, aux États-Unis et à travers le monde, est justement ébranlée par ces assassinats.
Selon les analystes, ce qui se passe dans la rue répond directement au discours des médias et des hommes et femmes politiques. Or reportages discriminatoires, expressions péjoratives, accusations diffamatoires se sont multipliés depuis le début de la pandémie*. Deux jours après les événements tragiques de cette semaine, le congrès américain, enfin !, a tenu sa première audience dans le but d’établir un état des lieux du racisme anti-asiatique dans le pays et de prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Le lendemain, le président Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris se rendaient ensemble à Atlanta pour rendre hommage aux victimes. Président et Vice-Présidente ensemble pour s’engager devant le peuple américain à lutter contre ce fléau. Espérons que cette initiative fera école dans le monde, partout où ce virus d’un autre type s’est propagé.
Catherine Fuhg
*Depuis le début de la crise, des organisations, comme Korrektion et Belltower en Allemagne, consacrent leur énergie à répertorier les attaques dans les rues et dans la presse. Et elles ne chôment pas.