Depuis quelques semaines, le monde, l’Europe et la France se mettent à craindre une hausse de l’inflation. Le plan Biden, plus que massif, va booster la demande des consommateurs, et dans une économie où la pandémie affecte encore beaucoup la production, l’offre ne va pas suivre, ce qui va pousser les prix à la hausse, donc l’inflation. De ce côté-ci de l’Atlantique, la hausse des matières premières devrait se traduire par une hausse des prix également. On le voit déjà dans les fortes hausses du coût de la construction ou des emballages. La différence des taux d’intérêt entre les Etats-Unis et la BCE devrait pousser le dollar à la hausse, par conséquent le prix des matières premières ainsi que des importations. Les taux d’intérêt des obligations 10 ans US sont autour de 1,65% quand les taux allemands sont vers -0,35% et les taux des OAT françaises vers -0,15%, ce qui va continuer de pousser le dollar à la hausse. De quoi en effet entrevoir une hausse importante de l’inflation.
A mon sens, ces craintes sont toutefois exagérées. Il ne s’agit pas à proprement parler d’inflation mais de reflation.
Je m’explique. Pour sortir d’une crise économique, les états procèdent souvent par des plans de relance budgétaire ou monétaire. Comme lorsqu’on appuie fort sur le fond de la piscine pour se projeter rapidement à la surface. C’est exactement ce qui se passe en ce moment. Tous les états mettent le paquet pour sortir leurs économies du marasme créé par ce petit coronavirus. Ils cherchent à éviter les destructions d’emplois, à relancer les créations d’emplois, à développer les investissements publics et privés, à booster les programmes de construction, à investir dans les infrastructures. Tout cela jusqu’à ce qu’on retrouve la tendance long terme de croissance économique.
Ces politiques économiques ont nécessairement des impacts sur les prix. Il y a naturellement une hausse des prix, de l’inflation donc, mais cette inflation n’est que ramenée au niveau d’avant crise, à sa tendance long terme. Imaginons que l’année en crise, l’inflation soit à 0%, si l’année suivante cette inflation passe à 4% grâce aux plans de relance budgétaire et monétaire, cela ne remet l’inflation que dans sa tendance long terme de 2%. C’est ce qui est souhaitable. Ce n’est donc pas de la « mauvaise » inflation mais de la « bonne », de la reflation. C’est comme le cholestérol, le taux global n’est pas le bon indicateur, il faut regarder le LDL-c pour apprécier le risque cardio-vasculaire.
C’est exactement ce qui se passe en cette sortie de pandémie. Les mesures prises des deux côtés de l’Atlantique, surtout aux Etats-Unis pour le moment, ont un effet électrochoc sur la demande, et, dans le même temps, on relance nos industries, nos offres. Cette hausse des prix est donc salutaire, il faut la saluer plutôt que la craindre. Encore faut-il que l’Europe et la France mettent réellement en place un plan de relance industrielle, et n’augmente pas simplement la masse monétaire. Il ne faut pas suivre forcément l’exemple américain, nos économies sont différentes, les filets de protection sociale par exemple existent en France, pas vraiment aux Etats-Unis. L’économie US a entamé cette crise avec des taux d’imposition très bas, elle peut encaisser une petite hausse des impôts pour accompagner socialement la crise. En France, nous partons de taux d’imposition toujours trop élevés. Il nous faudrait au contraire une baisse de la fiscalité pour retrouver plus de dynamisme.
Pour sortir rapidement de cette crise économique majeure, il nous faut donc un véritable plan de relance, des investissements massifs dans les infrastructures (santé, éducation, transports, construction), dans la recherche, dans l’innovation. Il nous faut augmenter encore plus fortement notre capacité à créer des entreprises et donc des emplois. Il nous faut favoriser, booster, l’investissement public et privé. Et certainement baisser le coût du travail, les cotisations sociales payées tant par les salariés que par les entreprises, baisser les impôts de production, mais aussi les impôts sur les revenus. La France part d’un taux de croissance structurelle très bas, bien inférieure à celui de ses concurrents. Il faut profiter de ce moment, avec des taux de financement extrêmement avantageux (on est payé pour emprunter !), pour changer de braquet et positionner notre pays non pas sur un taux de croissance économique de 2% mais viser les 4% !
Si nous ne profitons pas de ce moment historique, alors la reflation que je décrivais ne sera que de l’inflation, et comme avec le cholestérol, il faudra craindre la crise cardiaque ou l’accident vasculaire !
Patrick Pilcer
Conseil et Expert sur les Marchés Financiers