Les rares ilots de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest cèdent progressivement à l’autocratie et à l’exercice exclusif du pouvoir politique et des ressources symboliques dérivées.
Le cas du Bénin est le plus emblématique et risque de marquer durablement ce pays longtemps considéré comme le laboratoire de la démocratie en Afrique. La prochaine élection présidentielle du 11 avril cristallise toute l’attention du pays et ne devrait consacrer que la réélection du président Talon dans un scrutin sans enjeux. Le président, homme d’affaires richissime, n’aura pas d’adversaires face à lui, sauf ceux qu’il a fabriqués pour valider et légitimer une élection exclusive et truquée d’avance.
Par ailleurs, le pouvoir a tôt fait d’emprisonner le 3 mars dernier sous des accusations iniques et invraisemblables de financement de terrorisme Reckya Madougou, la candidate du parti d’opposition Les Démocrates.
Minutieusement, le président béninois, hostile au pluralisme d’opinion et politique, a asséché toutes les formes de contre-pouvoir. Aujourd’hui, la presse dans sa globalité, les syndicats, les partis d’opposition sont réduits au silence. Le Bénin n’aura jamais connu autant d’exilés politiques et de prisonniers pour leur opinion. Non satisfait de contrôler toute l’administration publique, les pouvoirs locaux et nationaux, l’assemblée nationale, la cour constitutionnelle et les leviers économiques à sa botte, Patrice Talon se révèle un autocrate qui assume de dévitaliser tout un pays, ne supportant pas la moindre nuance.
Pour preuve, l’arrestation de Reckya Madougou, accusée par un instrument judiciaire aux ordres, la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) de financement de terrorisme est la preuve flagrante que la dérive du pouvoir ne s’embarrasse plus de bon sens et surtout en totale violation de la présomption d’innocence et de ses droits les plus élémentaires. Interpellée alors qu’elle sortait d’un meeting de l’opposition avec Joël Aivo, autre candidat de l’opposition recalé, l’ancienne ministre du président Yayi Boni, n’a jamais participé à un quelconque projet de déstabilisation de son pays et clame son innocence.
Depuis cette rocambolesque histoire de terrorisme qui ne tient qu’à l’imagination d’un pouvoir aux abois, Reckya Madougou est détenue dans des conditions intolérables au regard de ses droits fondamentaux. Si le pouvoir concède qu’elle n’est « pas dans un hôtel cinq étoiles », les mesures spéciales prises à son encontre démontrent le traitement spécialement scandaleux d’un système qui a réduit les droits de visite des siens de cinq à trois jours par semaine, l’impossibilité pour ses avocats d’entretien confidentiel et dans le secret de la défense, le refus de son droit à une alimentation saine et équilibrée, et pire l’interdiction pour la candidate de l’opposition de revoir ses enfants mineurs qui n’ont pas revu leur mère depuis presqu’un mois.
Le pouvoir de Patrice Talon vise justement à terroriser le reste de l’opposition et à travers le cas de Reckya Madougou, le signal envoyé est rude et absurde pour tous ceux qui voudraient exprimer des voix discordantes. La démocratie au Bénin est un lointain souvenir et dans l’indifférence de l’Union Africaine et de la communauté internationale, la dérive du radeau court à sa perte, rejoignant la trop nombreuse liste des pouvoirs dictatoriaux en Afrique.
Le pouvoir assure qu’il travaille au développement économique du pays, banalisant ainsi les libertés publiques et politiques, installant de fait une gouvernance implacablement autocratique. Les derniers rapports d’Amnesty International et de Reporters sans Frontières classent désormais ce pays comme étouffeur des libertés publiques. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, qui s’est à maintes fois émue de l’acharnement judicaire et de son corrolaire, la violation des droits politiques des opposants en exil ou restés au pays, n’a jamais été écoutée et ses résolutions ignorées par Porto-Novo.
C’est évidemment le signe tragique d’un pays montré en exemple depuis sa Conférence nationale des forces vives de 1990 qui aura connu le pire virage depuis 2016 avec l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon. Le risque couru pour les Béninois qui ont cru à la promesse de croissance économique de l’homme d’affaires est de de n’avoir en définitive ni développement, ni démocratie.
La situation de Reckya Madougou et de bien d’autres ne sont pas des cas isolés ; elles pourraient devenir avec le deuxième mandat du président actuel la norme et ce serait une désillusion pour l’ancienne vitrine démocratique béninoise et de tous ses défenseurs, qu’ils soient Béninois, Africains ou du monde. A cet effet, les bris risquent d’emporter bien plus bien qu’une certaine idée de l’ex-Dahomey…mais un idéal que beaucoup en Afrique et dans le monde n’ont jamais eu la chance de connaître : la liberté d’expression.
Virgile Dènakpo
Observateur politique