Dans notre belle Europe unie, tout semble faire l’objet de réglementations. Pour ne pas se perdre dans la jungle des textes pondus par ses instances, une solide formation de juriste ne suffit pas. Ni une longue expérience de surfeur sur le web. Ni le sens de l’orientation d’un randonneur chevronné. Et les trois combinés ? Mystère. Quoi qu’il en soit, patience et endurance constituent l’équipement de base dont il faut se doter si l’on veut espérer arriver quelque part. Bien sûr, il y a des concepts qui peuvent prêter à confusion, des principes ou pratiques qui, changeant selon les pays, méritent de se voir ajustés, explicités, réglementés. Mais certains autres semblent si simples qu’on se demande naïvement pourquoi légiférer.
Par exemple, qu’y a-t-il d’ardu, de complexe, d’ambigu, dans le « fabriqué en France » revendiqué fièrement à coups de drapeaux bleu blanc rouge, estampillés sur les produits ? Comme ça, bêtement, a priori, on pourrait croire que ces produits sont « fabriqués » « en » « France ». Sauf qu’en réalité le terme « fabriquer » n’a rien d’élémentaire, mon cher Watson. Car si l’on s’en réfère à la définition de l’Académie française, il signifie « réaliser, confectionner, créer de ses mains » et aussi – c’est là que ça se corse – « produire en quantité, par la transformation de matières premières ou de produits usinés ».
Mais à partir de quand une transformation peut-elle être considérée comme de la fabrication ? Ce point, le dictionnaire ne l’élucide pas. Pas plus que la taille et le nombre des « produits usinés » utilisés… Questions de bon sens, me direz-vous ? Pas seulement, et loin de là, lorsque des fortunes sont en jeu, comme avec le label « fabriqué en France » justement, très prisé dans le monde pour diverses raisons. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’une question d’honnêteté, ô combien épineuse, qu’il reste aux législateurs à résoudre.
Ainsi, dans le Code des douanes communautaire de l’Union Européenne, l’article 24 stipule, je résume, que si le processus de fabrication se déroule dans plusieurs pays, on donnera comme pays d’origine celui de la dernière transformation « substantielle ». Voilà qui est tranché. Non, pas encore. Pas tout à fait. D’ailleurs, attention spoiler, d’un point de vue moral, ça ne le sera jamais. Conscients de la difficulté, les auteurs de ce Code ont ajouté immédiatement après cet article 24, un article 25 (ben oui !) qui établit que si l’on peut prouver que la dernière transformation n’est là que pour justifier l’appellation revendiquée selon l’article précédent, alors, ça ne marche. Faut pas exagérer.
Pourtant, selon Pierre Elmalek, président-fondateur de Maison de la Literie, beaucoup des matelas vendus « fabrications » françaises par les autres grandes marques sont en réalité presque complètement fabriqués à l’étranger, et parfois seulement mis en housse ou emballés en France. Vous avez dit « substantiel » ?
De quoi crier à l’injustice, car, à l’inverse, les matelas de son enseigne sont fabriqués de A à Z dans ses usines françaises où travaillent deux cents personnes. Pour lui, fabriquer français n’est pas seulement un label, mais un engagement auprès de sa clientèle et de la société française, en termes de qualité, de respect de l’environnement et de créations d’emploi.
Catherine Fuhg