Tous les bibliophiles, bibliophages, bibliovores, même ceux qui comme moi n’oseront pas avouer, même sous la torture, surtout devant un tel forum, qu’ils n’ont jamais été fichus de lire un Proust jusqu’à la fin, tous ceux susmentionnés, donc, savent que le grand Marcel écrivait dans son lit. Mieux, selon la légende qu’il a, selon les mauvaises langues, contribué à créer, lui, le roi des mondains, se serait coupé du monde pour s’adonner à l’écriture. Ainsi, son œuvre serait née entre les quatre murs couverts de panneaux de liège, pour l’isoler du bruit infernal de Paris, où il s’était cloîtré, toutes fenêtres fermées. Il aurait, paraît-il aussi, écrit la dernière phrase d’À la recherche du temps perdu juste avant d’expirer, dans son lit. Fascinant !
D’autant plus fascinant que d’autres auteurs de renom, dont Truman Capote, Colette, Churchill, Nabokov, James Joyce, Mark Twain et Georges Orwell, pour n’en citer que quelques-uns, ont eux aussi pratiqué leur art au creux de leur lit. Colette et Georges Orwell parce que la maladie les immobilisait alors que, toujours alerte, leur esprit demandait vigoureusement à s’exprimer. Ainsi, le médecin qui soignait Orwell à Glasgow a raconté se souvenir de son patient, tuberculeux, à moitié couché dans son lit, émergeant du nuage de fumée de sa cigarette, et tapant sur les touches de sa machine à écrire. Dans un courrier à son agent, George Orwell expliquait : « Je me suis tellement habitué à écrire au lit que je crois que c’est ce que je préfère, même si c’est peu commode ». Il aurait, lui aussi, à l’instar de Marcel Proust rédigé dans son lit la fin de sa dernière œuvre : 1984. Pas franchement un roman de plage. Alors que certains prétendent qu’écrire au lit témoigne d’une sorte de nonchalance, ou de manque de sérieux.
Mais, écrire dans son lit peut résulter aussi d’un choix, voire d’une stratégie. Ainsi, Edith Warthon, auteure américaine, première femme lauréate du fameux prix Pulitzer, écrivait dans son lit de son réveil jusqu’à onze heures. Son seul moyen qu’elle avait trouvé d’échapper à ses devoirs et à la curiosité. Truman Capote, maître du roman noir, déclarait, lui, à ce sujet : « Je suis un auteur complètement horizontal. Je ne peux pas réfléchir à moins d’être couché […] avec une cigarette et un café à portée de main. » Quant à Mark Twain, le lit lui rendait l’écriture aisée : « Je m’assois dans mon lit, une pipe dans la bouche et une tablette sur les genoux et je me mets à griffonner. Et penser devient plus facile. »
Mais d’où vient donc la magie de l’écriture au lit ? Tirant un parallèle entre le lit de l’auteur et le canapé de Freud, certains l’attribueraient à la position allongée. Selon d’autres, le lit, au cœur de l’intimité, libère l’accès de l’auteur à son intériorité. Plus encore lorsqu’il y écrit le matin à la première heure, avant la possible intrusion de la réalité dans sa conscience ensommeillée. À l’abri, dans son lit, l’auteur se parle à lui-même et déjà au lecteur qui le lira peut-être, lui aussi, dans son lit. À travers ce lieu si privé s’établit une connexion directe, privilégiée, entre celui qui écrit et celui qui le lit.
Et si l’explication se cachait encore ailleurs ? Alors, tant mieux ! À vouloir trop comprendre, on risque de rompre le charme…
Catherine Fuhg