Afriques demain
23H20 - vendredi 9 avril 2021

« Moi Président ». Entretien avec Albert Pahimi Padacké, candidat à l’élection présidentielle au Tchad

 

Monsieur Albert Pahimi Padacké, vous avez été notamment premier ministre du maréchal Déby Itno et vous êtes candidat à l’élection présidentielle qui se déroule ce dimanche 11 avril 2021. Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, vient d’en appeler les autorités tchadiennes à « des élections crédibles et pacifiques ». Le seront-elles demain ?

Pacifiques, elles le seront mais crédibles, je n’en suis pas sûr car les conditions de distribution des cartes électorales et les difficultés logistiques de la commission électorale permettent sérieusement d’en douter.

 

Quel est votre objectif en termes de résultat électoral ?

Une chose est sûre : au terme de ma campagne électorale par laquelle j’ai sillonné tout le pays, avec une élection transparente, je devrais être en tête du scrutin. Je serai élu président de la République.

 

Vos principaux adversaires ne sont-ils pas davantage, plus que le président lui-même, les opposants au maréchal Déby Itno puisqu’ils appellent au boycott des élections présidentielles ?

Les deux. Le maréchal Déby est mon principal adversaire puisque nous nous présentons devant le peuple tchadien lui et moi. Mais ceux qui se disent pour le boycott des élections travaillent de facto pour le maintien du maréchal au pouvoir et sont donc complices de sa candidature.

 

Quel est le sens de votre candidature ? Prendre date pour l’après-Déby Itno ? Incarner le chemin de l’alternance ? Pourquoi ce slogan de campagne : le changement sans vengeance ?

Je suis à l’écoute de l’opinion publique nationale qui souhaite un changement au sommet de l’Etat. Mais le peuple souhaite la paix et une alternance pacifique. Je sers à la fois ceux qui veulent ce changement et ceux qui, ayant travaillé avec lui comme ce fut mon cas, veulent des garanties de sécurité juridique et sociale qu’il n’y aura ni vengeance ni chasse aux sorcières, notamment pour l’ancien président de la République comme pour sa famille. Ma candidature rassure et rend donc possible cette alternance que réclame le peuple. Une fois élu président de la République, je travaillerai avec toutes celles et ceux qui veulent servir leur pays.

 

Un homme politique qui n’a pas été militaire peut-il gouverner aujourd’hui en Afrique et notamment au Tchad ?

Absolument oui. Pour avoir été notamment premier ministre, j’ai travaillé avec les forces de sécurité. Le chef de l’Etat n’est pas le porteur de canons mais un bon organisateur des forces de défense et de sécurité.

Il vaut mieux pour l’Afrique avoir des chefs d’Etat non militaires que des militaires au pouvoir. L’armée doit rester une institution neutre, garante de la démocratie et des droits de l’homme.

 

Le Tchad constitue à bien des égards la puissance militaire de la région. Le président Déby est notamment le garant de la force militaire sahélienne dans le G5 Sahel. Des troupes tchadiennes viennent par exemple d’être déployées dans une des zones les plus sensibles de la guerre contre le djihadisme. Si vous étiez président, remettriez-vous en cause ce rôle stratégique joué par votre pays ?

Pourquoi le remettrais-je en cause ? Je ne jette pas la totalité de ce qui a été fait avant moi.

C’est la situation géostratégique du Tchad et non le bon vouloir du président Déby qui dicte notre politique dans la région contre le terrorisme. La France commet une erreur en pensant que le Maréchal est le seul au Tchad à lutter contre le terrorisme. Ce sont de jeunes Tchadiens qui vont au combat, pas le maréchal.

Je suis conscient des enjeux planétaires de cette lutte contre le terrorisme. Et je m’engage à ce que le Tchad soit assis sur des institutions fortes. Car avec moi président de la République, ce ne sera pas une lutte que militaire mais un développement à la base, une lutte à la racine du mal pour décourager les jeunes de rejoindre les djihadistes et autres mécontents qui nourrissent des réseaux de rébellion. Il faut donner de l’avenir à nos jeunes. Sur ce point, le maréchal Déby a échoué.

 

Doit-on, comme le prônent certains leaders africains, dialoguer avec les djihadistes pour trouver une issue politique à la crise dans la zone sahélienne ?

Ce n’est pas une bonne idée car celui qui veut tuer pour avoir une récompense au ciel, je ne vois pas sur quelle base discuter avec lui. Il faut le combattre de la façon la plus sévère mais en même temps travailler pour limiter ses chances de recruter de nouveaux soldats dans notre jeunesse.

 

Quelles relations avec la France préconisez-vous pour le Tchad ?

Notre relation est historique mais je souhaite qu’il y ait mieux de France au Tchad et un partenariat entre nos deux peuples plus que cette forme de syndicat de dirigeants élitistes qui confisquent notre relation aujourd’hui.

 

Quelle sera votre politique vis-à-vis de l’Union africaine ?

Elle doit être aux avant-gardes des institutions fortes en Afrique. Et porter l’étendard de la limitation des mandats aux sommets de l’Etat, véritable plaie de nos Etats. De même, je militerai pour l’instauration d’un mécanisme qui fasse que les décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples soient contraignantes pour les Etats, comme c’est le cas en Europe avec la Cour de Strasbourg.

 

Propos recueillis par Michel Taube et Alain Dupouy, président du Club O2A (Objectif Afrique Avenir) et parrain d’Opinion Internationale

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