Ne le confondez pas avec un vulgaire coussin, il pourrait vous en coûter des douleurs cervicales, des migraines ou des insomnies. Bien sûr, de loin ils se ressemblent. Mais leur parenté s’arrête là, à une ressemblance. Car l’un se cale négligemment entre dos et dossier, de chaise ou de canapé, ou discrètement sous le séant pour lui offrir du moelleux, ou encore se contente, futilement, de décorer. Alors que l’autre, précieux, assure votre sommeil, ainsi que son nom l’implique.
Comment ça, son nom l’implique ? Oreiller n’est pas sommeiller ! Certes, mais il n’est pas non plus simple têtier ou crânier – ni même capillarier, éliminé d’office par égard pour les chauves ; tiré par les cheveux ? Ça ne peut pas leur faire de mal… Bref ! Pourquoi donc « oreiller » alors que seules les oreilles de ceux qui dorment sur le côté reposent sur ce « coussin de lit » – si j’ose les appeler ainsi ? Parce qu’il n’est pas seulement un appui-tête pour la nuit, mais la clé du repos et de la sérénité qui s’accordent si bien avec les sens oubliés que le mot « oreiller » recèle.
Des sens que nous révèle le dictionnaire de français moyen, c’est-à-dire du Moyen Âge, qui attribue à « oreiller » pas moins de quatre définitions. Pour la première, il est « un coussin qui soutient la tête » et « un poisson ou coquille dont les ouïes ou les oreillettes sont d’un émail particulier » ; pour la deuxième, oreiller signifie « prêter l’oreille, chercher à entendre, écouter », et pour la quatrième « auriculaire », tout ce qui a trait à l’oreille. Vous l’aurez remarqué, j’en ai sauté une en chemin – ma manie de garder le meilleur pour la fin –, d’une grande portée symbolique, puisque selon elle « oreiller » signifie « couper l’oreille à ». Symbolique car de nos sens, l’ouïe est celui qui demeure le plus longtemps aux aguets après l’endormissement. Ce n’est qu’en accédant au plus profond du sommeil, dormant sur nos « deux oreilles », que nous coupons le son (ou l’oreille) et accédons à la paix.
Permettez-moi de m’attarder un instant sur cette expression, qui n’a de réalité qu’en son sens figuré. En effet, comment serait-il pratiquement possible de dormir sur ses deux oreilles ? D’ailleurs cet exercice physique n’existe qu’en français. Pour exprimer la même chose, on dit en anglais, allemand, espagnol, corse, hébreu, luxembourgeois… « garder le loup loin de la porte », j’y reviendrai une fois prochaine. Les Italiens qui comme nous aiment bien se distinguer disent « joindre les deux bouts ». Quant aux Chinois, apparemment, ils ne donnent pas cher de la peau de ceux qui dorment profondément. Jugez vous-même : la traduction littérale du chinois « dormir sur ses deux oreilles » est « s’en sortir à peine ».
Ainsi, à défaut de données scientifiquement prouvées, je vous propose ici mon interprétation. Quand l’oreille dort, tout dort. C’est donc l’ouïe, ce sens réticent à l’endormissement, qui est à l’origine du nom de nos oreillers.
Et c’est aussi pourquoi ils méritent toute notre attention lorsque nous les choisissons. Quant à l’art et la manière de procéder à ce choix, avec les divers facteurs à considérer avec soin, je les expose pour vous dans un autre papier.
Catherine Fuhg