Par courrier du 1er avril, Jean Castex demanda l’avis de Michel Fournier, Président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), concernant le calendrier d’organisation et les recommandations relatives aux prochains scrutins électoraux nationaux. Une manière, peut-être, de tendre la perche pour espérer introduire dans les esprits la petite musique du report des élections régionales. Toute la classe politique, à l’exception du MoDem et du président de l’Assemblée Nationale, est contre ce report, mais selon un sondage Odoxa Backbone-Consulting réalisé pour Le Figaro et France Info, 71% des Français seraient favorables à un tel report pour motifs sanitaires.
L’AMRF a saisi la perche tendue : dans sa réponse du 8 avril, elle exprime le souhait que les élections « puissent se dérouler selon le calendrier prévu dans la mesure où elles se situent dans une période non concernée par un confinement partiel ou total. »
Donc, pas d’élection en période de confinement, même partiel. Or nous sommes partiellement confinés, même si en pratique ce sont surtout les commerçants et les secteurs de la culture et des loisirs qui le sont. Où en serons-nous le 13 juin, soit dans deux mois à peine ? Certaines mesures, comme l’interdiction saugrenue de se déplacer à plus de 10 kilomètres de chez soi seront peut-être levées. Qu’entend l’AMRF par confinement partiel ?
Mais surtout, Michel Fournier indique au Premier ministre que les recommandations du Conseil scientifique de « privilégier des membres du bureau de vote qui soient vaccinés ou testés » sont « inacceptables et créent un environnement incompatible avec la sérénité de l’organisation du scrutin ». Et d’ajouter que la réalité de la vie rurale n’est pas compatible avec la mise en place de ces recommandations, égrenant les arguments auxquels l’élu rural qu’est Jean Castex pourrait être sensible.
La réponse des maires ruraux est symptomatique d’une des grandes faiblesses de la France : on attend tout de l’État, alors que la crise du Covid a démontré son impéritie. Notre bilan provisoire, en termes économiques comme sanitaires, est l’un des pires de la planète (et tout porte à croire que ce sera pire au moment du bilan définitif), mais nous continuons à faire comme si l’État providence existait encore, et pouvait tout. Même dans les territoires ruraux et en dépit de leurs spécificités mentionnées par l’AMRF dans sa réponse au Premier ministre, on peine à comprendre qu’il ne soit pas possible, à l’échelle locale, d’organiser le dépistage des membres des bureaux de vote, voire de privilégier les personnes vaccinées. Après plusieurs semaines, voire plusieurs mois de retard sur nos voisins, les autotests (évidemment de fabrication chinoise) commencent à être disponibles en pharmacie. Parallèlement, la campagne vaccinale semble s’accélérer, même si les incantations ministérielles ne se vérifient pas toujours sur le terrain.
Différer le scrutin régional peut faire débat, mais le faire au motif que les maires ne pourraient organiser le dépistage des membres des bureaux de vote ou privilégier les membres vaccinés ou immunisés pour avoir déjà contracté la maladie, est plus difficile à justifier.
La remarque ne vaut d’ailleurs pas seulement pour les élus locaux. L’ensemble des corps intermédiaires pourraient, à leur échelle, participer à l’effort collectif de retour à la vie normale, qui ne peut reposer sur la seule vaccination, sauf à ce qu’elle soit aussi massive que dans quelques rares pays, tous hors Union européenne. Encore faut-il que l’État, en particulier le ministère de la Santé et ses innombrables ramifications administratives, leur permette de se procurer directement des vaccins et surtout des tests à court terme. Par le biais des organisations syndicales et patronales, des chambres de commerce et d’agriculture ou des ordres professionnels, le dépistage, voire la vaccination, des futurs assesseurs pourrait être organisé dans les mairies quelques semaines et journées avant les élections, ou sur les lieux de travail, en particulier si y sont associés les médecins du travail, ignorés par le gouvernement depuis le début de la crise.
Les maires ruraux de France gagneraient d’autant plus à contribuer, à leur échelle et avec leurs moyens, à l’organisation des régionales et des départementales que l’hypothèse de leur report est impopulaire et invraisemblable, sauf aggravation de la situation sanitaire. Ce serait aussi un moyen de mettre l’administration centrale au pied du mur, une nouvelle fois.
L’enjeu est aussi politique… LREM a déjà fait l’impasse sur les Régionales : après les municipales, c’est une nouvelle déculottée qui s’annonce. Seule compte la présidentielle, perspective dans laquelle reporter les régionales peut être vue comme une manœuvre politicienne pour retarder l’entrée en campagne de l’opposition, malgré la décision de Xavier Bertrand d’aller au combat sans attendre d’éventuelles primaires de la droite.
Covid ou pas, même en milieu rural, on se bousculera moins dans les bureaux de vote que sur un marché ou dans une grande surface. Car le désintérêt des Français pour ce scrutin régional est patent, sauf peut-être dans les Hauts de France, où Xavier Bertrand joue son avenir politique, et en Ile-de-France où Valérie Pécresse est candidate à sa réélection… en vue de l’Elysée. Les Français sont même tellement désabusés que l’on peut craindre une forte abstention à la présidentielle, en cas de duel Macron-Le Pen.
Les Maires doivent participer à la stratégie anti-Covid et sauver les élections régionales et départementales quitte à être indemnisés par l’Etat pour leurs efforts.
Michel Taube