Edito
10H36 - samedi 17 avril 2021

Le Japon face au Covid : palme d’or de la prévention ! L’édito de Michel Taube

 

Depuis le début de la pandémie de Covid, l’Europe a souvent loué les mérites de la Corée du Sud, en particulier sa faculté à appliquer la stratégie tester/tracer/isoler. Mais quid de son grand voisin nippon ? Où en est l’Empire du Soleil Levant en termes de bilan sanitaire, d’effets économiques, de stratégie vaccinale ? Peut-on conclure de sa gestion de la crise qu’il existe un modèle asiatique ?

S’agissant de la vaccination, les médias comparent trop souvent la France à Israël, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, qui sont en réalité des exceptions à l’échelle de la planète. Au 14 avril 2021, selon OurworldInData, 17,1 % de la population française a reçu au moins une dose de vaccin, ce qui dans la moyenne de l’Union européenne. La moyenne mondiale est à 6,1 %, l’Afrique est à 0,7 %, l’Asie est à 3,3 %, la Corée à 2,7 % et le Japon à… 0,9 % ! Aujourd’hui et à quatre mois de l’ouverture des Jeux olympiques, la grande crainte des Japonais s’appelle E484K, un variant du coronavirus plus résistant aux vaccins actuels.

Avec si peu de personnes vaccinées, une densité de population importante dans les grandes villes et mégapoles, un quart de la population âgée de plus de 65 ans, et une gestion de crise parfois jugée cafouilleuse, le Japon devrait afficher un bilan sanitaire et économique désastreux.

Or il n’en est rien…

Alors que la France dépasse la barre des 100.000 morts malgré la vaccination de la plupart des pensionnaires d’Ehpad, le Japon en dénombrait “à peine” 9552 au 16 avril 2021 (source : JHU CSSE COVID-19 Data), pour une population de plus de 126 millions d’habitants. Deux fois plus d’habitants, dont de nombreux séniors, quasiment pas de vaccination, et dix fois moins de morts. Cherchez l’erreur… ou l’exploit ! L’explication du moins.

Dans notre logique macronienne, où l’on répond aux vagues épidémiques par des confinements et des couvre-feux, on imagine que ce résultat ne peut être dû qu’à une mise sous cloche radicale d’un pays confiné à la dure depuis un an. Contrairement à certains pays asiatiques, en particulier la Chine, le Japon n’a pas opté pour une stratégie dite « zéro covid » avec confinement obligatoire ou isolement coercitif des positifs.

A certains égards, le Japon est même plus proche de la France que de ses voisins asiatiques : fermeture des frontières bien plus effective qu’en France, mais pas assez rapide au goût de certains, proclamation tardive de l’état d’urgence sanitaire, pénurie relative de masques (fabriqués en Chine), controverses sur la faiblesse du pouvoir exécutif du fait de la décentralisation et d’une Constitution très pointilleuse sur les libertés individuelles… Au Japon, le gouvernement a pu fermer les écoles, mais pas question d’imposer un confinement ou un couvre-feu, même en situation d’urgence sanitaire.

Sans confinement strictement obligatoire, la population japonaise a respecté les recommandations de rester chez soi autant que possible. Certains musées ont fermé, mais pas les magasins, les restaurants ou les bars, qui ont seulement réduit leur activité. Le résultat économique est une claque pour notre stratégie française, la meilleure du monde évidemment : en 2020, le PIB japonais a progressé de 3,9 % alors que celui de la France chutait de 8,3 %. Certes, la dette publique y est deux fois supérieure à celle de la France, une dette dont on sait que le principal ne sera jamais remboursé, ce qui en soi ne pose pas de problème si les taux d’intérêt ne flambent pas et que les créanciers maintiennent leur confiance à l’État débiteur.

Un atout déterminant du Japon est sa culture hygiéniste. Alors qu’en France, certains médecins contestent l’importance du port du masque à l’extérieur, même en cas d’affluence, les Japonais, à l’instar de nombreux Asiatiques, le portent traditionnellement par respect d’autrui, en particulier pendant la période des rhumes allergiques, qui ne sont pourtant pas contagieux. En ces temps de Covid, ne pas porter un masque dans un lieu clos, voire dans la rue, y est inconcevable. La même rigueur s’applique à la propreté, en particulier au lavage des mains, que ces mêmes médecins vaniteux jugent superfétatoire. La prévention est une addition de comportements, d’attitudes, de précautions, de gestes barrières dont le Japon apporte une preuve flagrante que leur somme est d’une redoutable efficacité. Au Japon, la prévention, que les autorités françaises et ses conseillers scientifiques méprisent, va bien au-delà des masques et du gel hydroalcoolique : la distanciation sociale y est culturelle. La salutation se fait sans poignée de main ni accolade. Certes, le corps japonais est très érotisé (l’Empire des sens) mais on ne touche que très rarement le corps d’autrui, même en famille. Et si on le fait, on met la main sur l’épaule en signe d’amitié. Une épaule couverte de vêtements évidemment. Et on ne touche JAMAIS personne dans un onsen, ou sur une plage. 

L’hygiène est aussi alimentaire avec pour résultat qu’il y a bien moins de Japonais en surpoids (27,2 % contre 59,5 % en France) et encore moins d’obèses, hormis les célèbres sumos. La prévention sanitaire commence à l’enfance, tant en ce qui concerne l’hygiène personnelle que la propreté des lieux de vie et de travail, des commerces, des transports…

Il faut dire que les Japonais ont une tradition de la propreté populaire. Le nettoyage des écoles maternelles et primaires y est souvent effectué par les parents. Qui est mieux placé pour combattre le risque de contamination que les plus proches ? Ça sent le chlore, l’ammoniac, la citronnelle…

Ajoutons-y cette belle culture du bain. Les bains quotidiens, voire bi-quotidiens, à 40 °Celsius, hérités d’une culture antique, sont pris dans une large baignoire. Nombre des Japonais qui ne vivent pas dans les surfaces minuscules de Tokyo possèdent à domicile un de ces onsen, des larges vasques en pierre. Nombre d’hôtels, voire de maisons d’habitation, sont construits autour des nombreuses sources d’eau pure et sulfurée dont le cœur est un volcan, le Fuji. 

De même, les toilettes « à la japonaise » sont nettement plus respectueuses de l’hygiène (sauf à la station Charles de Gaulle, sortie RER A, où nous avons trouvé un modèle japonais). Les poignées intérieures et les boutons « tirer la chasse d’eau » des toilettes constituent un vecteur violent de la propagation de la Covid. On le sait, se nettoyer les mains est un sport national en France et partout dans le monde… Ah qu’il est loin le temps où l’on enseignait à l’école l’hygiène aux enfants.

Par ailleurs, on évoque parfois une immunité collective croisée, résultant des multiples épidémies qui ont frappé l’archipel : choléra au XIXème siècle, grippe espagnole et tuberculose au XXème siècle, SRAS, grippe H1N1 et MERS depuis le début du XXIème siècle. Cette thèse n’est toutefois pas confirmée.

Le Japon a donc abordé la crise du Covid bien différemment de ses voisins chinois et coréens, et en portant moins atteinte aux libertés qu’en Europe, tout particulièrement en France. Autant les critiques incessantes sur la lenteur de vaccination française semblent exagérées au vu des chiffres, autant le bilan sur tous les autres volets est désastreux, en particulier si on le compare à celui du Japon qui n’a jamais eu recours à la stratégie Zéro Covid prisée en Asie et en Océanie. Le Japon nous donne une leçon de prévention et une claque à ceux qui minimisent l’importance des gestes barrières et de l’hygiène. C’est comme il est bien connu que la France sait tout faire mieux que les autres, nous ne retenons jamais les leçons qu’ils pourraient nous donner.

En France, la prévention est le parent pauvre de la lutte contre le Covid. La campagne « Ensemble Prévention Covid » a tenté de rehausser le niveau d’attention des pouvoirs publics mais les freins corporatistes et culturels sont tenaces.

Pour la prochaine étape de notre voyage sur la planète Covid, nous poserons nos valises en Amérique du Sud où aucun pays n’a la chance d’avoir un système de santé et une administration aussi extraordinaire que la France.

 

Michel Taube

avec Raymond Taube et Jean-Philippe de Garate

Directeur de la publication

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