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10H37 - lundi 19 avril 2021

Squats : les entreprises, grandes oubliées de la loi ASAP et de la protection de la propriété privée. Tribune de Philippe Latombe

 

Mypouss – flickr.com

Il ne se passe pas une semaine sans que la presse nationale ou régionale révèle une nouvelle affaire de squat. A chaque fois est relancé un débat qui, comme pour beaucoup des sujets qui fâchent et pour lesquels aucune solution totalement satisfaisante n’a vraiment été trouvée, polarise les discussions d’une façon qui laisse peu de place au consensus.

Et chaque camp, de développer ses arguments. D’un côté, ceux qui rappellent que le droit au logement est établi dans les conventions internationales ratifiées par la France et ne s’y est toujours pas concrétisé. « C’est la faute à la spéculation immobilière et foncière, à la marchandisation du logement », soulignent-ils. L’argument fait mouche et, de là à investir des bâtiments ou des terrains censés inoccupés, il n’y a qu’un pas, vite franchi par certaines associations qui n’hésitent pas à envahir ces lieux pour y installer des laissés-pour-compte du logement social, bénéficiant souvent d’une certaine impunité de la part des pouvoirs publics qui répugnent, on peut le comprendre, à procéder à l’expulsion de personnes sans abri.

Le corpus juridique, législatif et réglementaire, en évoluant  dans le sens d’une reconnaissance de plus en plus affirmée du droit au logement, constitue une justification revendiquée à de telles actions : en 1995, le Conseil Constitutionnel a classé le droit au logement au rang des objectifs à caractère constitutionnel ; en 2007, la loi DALO a créé un droit et une procédure de relogement ; le droit à l’hébergement inconditionnel et à une orientation jusqu’à un hébergement stable ou un relogement a été érigé au rang de droit fondamental en février 2012. Il reste à l’inscrire dans la Constitution mais, enfin et surtout, à en renforcer l’effectivité.

Or, c’est là que le bât blesse : l’Etat peine à la manœuvre en ce domaine. La loi Elan, forte de ses 230 articles ambitionne une évolution favorable et un accès facilité au logement mais, votée fin 2018, il est encore trop tôt pour qu’on puisse vraiment en constater et évaluer les effets.

En attendant, si chacun s’accorde à reconnaître qu’il est inconcevable que, dans un pays qui se pique d’être la sixième puissance mondiale, il puisse y avoir autant de gens privés de logement, on ne peut occulter qu’a contrario, la multiplication des squats porte atteinte à un autre droit tout aussi fondamental, celui du respect de la propriété privée.

A l’autre bout du spectre, se trouvent donc ceux qui se voient spoliés de la jouissance de leur bien, voire mis à la porte de leur domicile principal, par des squatteurs qui revendiquent leur droit à un toit ou profitent tout simplement de l’avantage objectif dévolu à celui qui parvient à occuper la place. Le nœud, gordien, s’il en est, se situe bien dans le fait que la satisfaction dévoyée du droit des uns conduit à la négation de celui des autres.

La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) de décembre 2020 a tenté de limiter les effets pervers de la loi DALO par l’amélioration de la procédure permettant aux propriétaires d’obtenir l’évacuation forcée des squatteurs de leur domicile privé. En revanche, la situation reste kafkaïenne pour les entreprises propriétaires ou occupant légalement des locaux à vocation commerciale ou industrielle. Pour elles, la procédure d’expulsion de référé traditionnelle doit être poursuivie. Et ce n’est pas une sinécure.

Les entreprises, en effet, continuent de rencontrer de grandes difficultés pour récupérer la jouissance de leurs locaux, terrains ou parkings occupés par des squatteurs. Or, elles sont de plus en plus nombreuses à subir ce phénomène. Il est d’ailleurs significatif de noter que des sociétés de nettoyage se sont spécialisées dans le nettoyage des locaux saccagés par des occupants illégaux. Il y a donc bien un vrai marché. Ces habitants non désirés ne sont pas toujours uniquement motivés par la nécessité de s’abriter. Loin s’en faut. La Fédération française du Bâtiment (FFB) dénonce d’ailleurs cette situation sur son site, sous un titre – jeu de mots révélateur : « Ras-le-vol ».

Un chef d’entreprise m’a sollicité l’an dernier à ce sujet. Il n’a pu obtenir l’intervention rapide des gendarmes que parce que le site qui avait été investi par des Roms comportait un espace de stockage de produits hautement inflammables. Les vols et dégradations commis en quelques jours ont tout de même représenté un préjudice de plusieurs dizaines de milliers d’euros, sans compter celui constitué par l’obligation de reporter la livraison prévue des locaux aux entreprises locataires. On peut s’interroger sur ce qu’aurait été le montant de la facture si l’occupation des lieux s’était éternisée. Il y a quelques jours, les mêmes squatteurs ont de nouveau envahi le parking du site et menacé le vigile qui tentait de leur en interdire l’accès…

Dans ce cas de figure, c’est au propriétaire du site commercial ou industriel de démontrer qu’il y a de bonnes raisons justifiant que les locaux aient été vides au moment où ils ont été squattés. Le juge, de son côté, considère qu’il faut trouver une solution pour reloger les occupants illégaux et qu’en attendant, c’est le statu quo qui doit être observé. La simple occupation du parking d’une entreprise par des caravanes peut pourtant à elle seule constituer une entrave à l’exercice de son activité, en ce qu’elle en interdit l’accès aux véhicules de son personnel et de ses clients. Certains locaux peuvent être aussi momentanément vides pour une multitude de raisons qui n’impliquent pas pour autant qu’ils sont à l’abandon.

Cependant, il existe un principe qui sous-tend notre procédure civile, selon lequel « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Cette règle, prévue par l’article 1315 du Code civil, signifie qu’il appartient au demandeur, dans une action en justice, d’apporter la preuve de ses demandes. Or, il semble aberrant que ce soit à l’occupant légitime des lieux, pourtant victime d’une situation qui lui est imposée au détriment du droit au respect de la propriété privée dont il peut se prévaloir, d’avoir à se justifier du fait que les locaux étaient inutilisés au moment où il en a été pris possession par les squatteurs.

Il serait beaucoup plus juste que la charge de la preuve pèse sur les squatteurs, ces derniers se trouvant alors dans l’obligation de prouver que l’endroit qu’ils envisagent d’occuper est dans une situation effective d’abandon, voire de déshérence, que leur présence ne portera aucun préjudice au propriétaire ou à l’occupant légal, et ne viendra pas pénaliser une quelconque activité commerciale ou industrielle. Si ces conditions n’étaient pas remplies, la force publique aurait alors pour tâche de procéder sans délai à leur expulsion, garantissant ainsi à l’entreprise de pouvoir reprendre rapidement le cours normal de son activité.

Il est temps que les entreprises ne soient pas les grandes oubliées de la protection de la vie privée. Des solutions de droit existent. Osons les mettre en œuvre.

 

Philippe Latombe

 

 

 

 

 

 

 

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