A peine réélu, le 11 avril, avec près de 80% des voix, le nouveau maréchal du Tchad a été tué lors des combats opposant son armée à des colonnes rebelles venues de Libye.
Au pouvoir depuis 1990, il ne profitera pas de son sixième mandat présidentiel. Son challenger principal à la présidentielle, Albert Pahimi Padacké, son ancien premier ministre, qui nous avait accordé un entretien exclusif le 9 avril dernier, lui a immédiatement rendu hommage.
Après trente ans de règne, il a usé 17 premier ministres jusqu’à la suppression de la fonction, en 2018 et placé, sa famille et ses proches, aux postes clés de l’Etat et de l’armée. Dont son fils, le général Mahamat Idriss Deby, chef de la Garde présidentielle, véritable garde prétorienne, lequel préside depuis le décès de son père, un Conseil militaire de Transition (CMT) qui a dissous le gouvernement et l’Assemblée Nationale, promettant, dans un délai de 18 mois, de nouvelles institutions et des élections libres et démocratiques.
Idriss Deby a eu la mort qu’il souhaitait, lui qui se définissait comme un guerrier : il est tombé au combat face à une énième rébellion. L’homme qui avait survécu à de nombreux coup d’Etat, attentats et autres insurrections, l’Homme qui, en 2013, encerclé dans son palais de N’Djaména, par des rebelles, refusa de partir en exil en France et se maintint au pouvoir, était réputé pour son courage.
Passionné par le métier des armes, il avait, en France, en 1986, pendant deux ans, intégré l’Ecole supérieure de guerre interarmées. A31 ans, il fut chef des Forces armées nationales tchadiennes, sous Hissène Habré, qu’il renverse en 1990. Général, en 1995, il devient maréchal, en 2021.
Ce fils d’un berger de l’ethnie zaghawa s’était opposé en 2011, à l’intervention militaire franco-anglaise en Libye, déclarant que « l’élimination de Mouammar Kadhafi et le chaos libyen allaient déstabiliser la région ».
Président d’un pays pauvre, enclavé, sans accès à la mer, en proie à des rivalités ethniques et religieuses, il s’engage, totalement dans la lutte contre le terrorisme.
En 2013, dans le cadre de l’opération Serval qui deviendra Barkhane, ses troupes participent avec l’armée française, au sauvetage de Bamako. Les bataillons tchadiens, soldats d’élites, seront un soutien important au Sahel, contre Al Qaida et l’EI.
Malgré un pouvoir autocrate, décrié par ses opposants, et peu respectueux des droits de l’homme, il bénéficia du soutien de la France, de l’Union européenne et des Etats-Unis.
S’étant débarrassé dans son pays de Boko Haram à la différence de son puissant voisin, le Nigéria, il avait appuyé le Maréchal Haftar, en Libye contre les islamistes de Tripoli.
La disparition d’Idriss Deby Itno laisse un vide politique et militaire. Dans un communiqué, Emmanuel Macron regrette la perte « d’un ami courageux », appelé « à une transition pacifique » et à la préservation de « l’intégrité territoriale du pays ».
Car, dans les prochains jours, se jouera aussi à N’Djaména l’avenir de l’opération Barkhane et donc de la présence française au Sahel. En effet, si les rebelles tchadiens poursuivent leur offensive sur la capitale, la nécessité de rapatrier le bataillon tchadien engagé au Sahel se posera immédiatement et, pire, si les rebelles renversaient le Conseil militaire de transition, quid du chaos qui s’en suivra ?
Idriss Déby était en train de gagner l’un des deux combats de l’Afrique : celui de la guerre contre l’islamisme radical qui déferle sur le continent africain. Il avait, depuis longtemps, renoncé au second : celui de l’Etat de droit et de l’alternance démocratique. Gageons que le Tchad ne perde au final sur les deux fronts. C’en serait fini du G5 Sahel qui en perdant son bras armé africain, perdrait sa légitimité même.
La suspension des institutions en place, même si elle peut se comprendre dans le seul objectif de stabilité, risque d’éloigner un peu plus la société civile de la junte au pouvoir. Pendant ce temps, le FACT, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad, dans le combat contre lequel Idriss Déby est mort, risque très vite de revenir à la charge.
Bref, la mort au champ d’honneur, à 68 ans, du Président tchadien soulève des défis qui interpellent autant le Tchad et l’Afrique que la France et les Européens !
Michel Taube et Michel Scarbonchi