Malgré le contexte sanitaire, les fondatrices du Prix de la closerie des Lilas ont maintenu leur prix. Merci à elles de défendre la littérature et les auteures.
Emmanuelle de Boysson, Carole Chrétiennnot, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Stéphanie Janicot, Jessica Nelson et Tatiana de Rosnay, accompagnées de Lydia Bacrie, Anne Nivat et Josyane Savigneau, jury invité pour 2021, se sont réunies mardi 13 avril pour délibérer et ont élu Stéphanie Coste pour son premier roman « Le passeur ».
Le prix de la Closerie des Lilas récompense une romancière de langue française dont l’ouvrage paraît entre janvier et mars. Il a vocation à repérer les talents, encourager et promouvoir la littérature féminine, soutenir la liberté d’expression et est attribué par un jury composé de femmes de lettres, des arts, des sciences, de la presse et de la politique.
« Nous sommes très fières de ce choix qui couronne un premier roman, une découverte, un texte puissant, ciselé, une romancière prometteuse », a indiqué Emmanuelle de Boysson.
La lauréate succède à Sandrine Collette, qui avait été distinguée en 2020 pour son livre Et toujours les forêts, édité chez Jean-Claude Lattès et dont nous avions rendu compte dans Opinion Internationale.
Désespoir et drame des migrants
Âpre, brûlant, et désespéré. Avec son premier roman, Stéphanie Coste frappe un grand coup. L’histoire est celle de Seyoum, Erythréen au destin tragique, à l’image de son pays et de son continent. Quand le lecteur le rencontre, Seyoum est un passeur cupide, dénué de scrupules ou de morale, une boule de fureur et d’angoisse rongée par l’alcool et la drogue. « J’ai fait de l’espoir mon fonds de commerce », annonce-t-il. « Tant qu’il y aura des désespérés, ma plage verra débarquer des poules aux œufs d’or. Des poules assez débiles pour rêver de jours meilleurs sur la rive d’en face. » Hommes, femmes, enfants, quelles que soient leur nationalité ou leur histoire, sont considérés comme des marchandises. Certains n’arriveront jamais en Italie ; peu importe, cela fait partie du business. Le livre décrit ainsi, sans concession, ce trafic d’êtres humains marqué par la violence et l’inhumanité.
Mais la réalité est plus complexe et tout passeur a une histoire. Seyoum est aussi cet enfant dont le père fut un journaliste réputé qui a combattu pendant la guerre d’indépendance contre l’Ethiopie. Un enfant attaché à sa famille, amoureux depuis l’âge de 8 ans de Madiha, la fille d’un ami de son père. Puis, un adolescent percevant l’inquiétude grandissante de ses parents face à la situation politique qui se détériore, mais voulant avant tout vivre avec l’insouciance de son âge… et obtenir un premier baiser de son amoureuse. Seyoum est également ce jeune homme arrêté, séquestré, embrigadé de force qui voit disparaître sa mère et ses sœurs mais surtout, qui est témoin des tortures infligées à Madiha.
Pour devenir l’un des passeurs les plus importants de la côte libyenne, il lui faudra une combinaison d’amour, de désespoir, de trahison et de folie.
Mais le passé revient toujours et des sentiments contradictoires le submergent. Pourquoi ? Comment ? Il faut lire « Le passeur » pour comprendre. Une lueur d’humanité et d’empathie apparaît finalement chez Seymoun, donne un peu d’espoir et hisse le lecteur vers sa propre humanité.
Anne Bassi
Présidente de l’agence Sachinka et chroniqueuse littéraire d’Opinion Internationale, Anne Bassi a publié son premier roman, « Le silence des Matriochkas » (Editions Berangel).
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