Souvent dans le métro, on grappille discrètement des minutes de sommeil. Dans le train ou le bus aussi, pour les infortunés privés de la chance insigne de voyager matin et soir, entre boulot et dodo, dans des galeries souterraines habitées de senteurs… sauvages. On peut aussi voler quelques instants de repos à la faveur d’un navet dans un fauteuil de cinéma. Les occasions ne manquent pas de s’assoupir ici ou là, mais rien ne vaut un bon lit, haut lieu de cette activité, essentielle comme vous le savez.
Pourtant ce lit auquel nous, les adultes, aspirons, dont nous rêvons éveillés, où nous rêvons endormis, est pour nombre de nos enfants un lieu de terreur, de torture.
Ils pleurent pour ne pas y aller. Craignant l’obscurité où grouillent tapies, invisibles, des créatures malveillantes. Comment s’abandonner au moelleux de son lit, au plaisir du sommeil, alors que des esprits rôdent, et que le leur mouline sans que rien ne puisse l’arrêter, inventant des histoires de monstres ou de voleurs d’enfants. Entre les draps, ils s’enfoncent jusqu’au nez, et parfois plus loin, accrochés à leur oreiller, leur couette, ou leur doudoune. Tout ce qui peut les rassurer. Ivres de fatigue, ils résistent, sondent les ténèbres de leur chambre. Sur le qui-vive. Erreur fatale ! Car les ténèbres ont l’art de transformer, d’animer, les objets alentour : à la lumière d’une ombre une innocente chaussette devient un méchant serpent, et un pli de rideau le profil aigu d’un vampire. L’enfant qui déjà somnole les imagine aux aguets, prêts à donner l’assaut. Mais le plus effrayant est ce qui s’ourdit sous son lit. Il devine des démons, cachés sous sommier. Il peut presque les sentir bouger, impatients de sortir enfin, de passer à l’action. Une fois qu’il dormira, ils feront la java, danseront avec ses poupées, casseront ses jouets, ou les déroberont, dans le meilleur des cas. Dans le pire, ils l’enlèveront, l’arrachant à ses draps pour l’emmener dans une forêt, pour boire son sang, le dévorer. « Maman ! Papa ! hurle-t-il. Au secours. Ils sont là ! »
Selon certains scientifiques, cette peur serait gravée dans notre disque dur. Avec son air irrationnel, elle s’expliquerait par son origine. Nous l’aurions héritée de nos ancêtres homo sapiens, confrontés à l’heure du coucher à leur vulnérabilité. Ils s’endormaient autour d’un feu pour se réveiller brusquement cernés de paires d’yeux affamés qui luisaient dans l’obscurité. Le feu censé les protéger s’était lentement éteint, les livrant aux prédateurs. Si l’homme depuis a évolué, relégué la nature et les animaux sauvages aux portes de ses villes, il a gardé dans ses gènes le souvenir de ces forêts et de tous leurs dangers.
Quant à la stratégie pour traiter ce problème, les avis sont partagés. Certains proposent d’inspecter, lampe de poche à la main, sous le lit et autour avec l’enfant pour lui prouver qu’il est en sécurité, de laisser la porte entrouverte ou d’allumer une veilleuse. D’autres recommandent au contraire de ne pas s’en mêler. En affrontant ses démons, le petit apprend à grandir. Enfin, il y a les parents qui, sans théoriser, instaurent pour la plupart un rituel du coucher, installés près de leur enfant, ils lui chantent des berceuses ou leur lisent des histoires… de monstres et de démons. Bouh !
Catherine Fuhg