Au classique Joli mois de mai /Quand reviendras-tu ? on est en droit de préférer : Joli mois de mai /Mais pourquoi nous quitterais-tu ?
Si mai est fou, c’est de vivre, graffitait-on rue Cujas durant les événements de 1968. C’était une vision bien idyllique des choses…Cette année-là, certains préférèrent s’obnubiler dans le petit livre rouge arrivé de Pékin, ou redresser la hampe érubescente du défunt Staline (+1953). À Flins, Seine-et-Oise, quelques ouvriers défilaient devant le corps d’un jeune noyé, posé sur un champ de coquelicots. À Paris, les escaliers de l’Odéon se trouvaient bientôt recouvert de brassées d’œillets presque pourpres, pas loin des parterres de tulipes vermillon du Luxembourg. Et, la nuit, les roses écarlates brandies à bout de bras boulevard Saint-Michel, dans la lumière des feux allumés, projecteurs de la police et brassiers d’automobiles qui se calcinaient. Au matin, on découvrait -j’en témoigne – des pivoines garance, presque andrinoples, déposés sur les bras de la statue de Montaigne, sagement assis face à la Sorbonne. Une statue bientôt barbouillée en… rose-rouge. Du street-art rendu à son néant, quelques coups de détergents plus tard. Ouf !
On préféra un temps cette dégoulinade rose-rouge au muguet blanc du Premier mai et au lilas si enivrant. Pourtant, on connaissait déjà, sur cette fleur si singulière, lilas de France, de Perse, lilas d’Inde, l’anecdote -authentique- du client d’un chemisier qui, entrant dans une échoppe de renom, quelque part sur les boulevards parisiens, demande une chemise couleur lilas. Et le commerçant, en soi-même désolé car il sait disposer d’une collection limitée -le violet-mauve n’étant généralement guère apprécié-, de proposer avec son plus large sourire de séduisantes alternatives :
– Monsieur tombe bien, j’ai là de magnifiques nouveautés.
Regardez cette nuance exquise de lilas persan, admirez, je vous prie, et touchez la douceur subtile, la suavité de cet incarnat retourné, la texture de cette chemise exceptionnelle, arrivée hier de Parme. D’un rose-mauve travaillé par la main de couturières et teinturières hors pair, travaillant de mère en fille depuis 1653 ! leur métier s’avère si maîtrisé que dans les linéaments du grain, ceux que dessine le coton, on croit reconnaître jusqu’au dessin du lilas. Non ? Monsieur hésite ? Monsieur a encore un peu de temps peut-être… Alors, qu’il me permette de lui présenter cette création, d’une coupe vraiment parfaite, royale, ajustée à votre taille, en direct de Saville road. Si vous m’autorisez un avis, on la croirait faite pour vous. Une chemise unique que m’a fait parvenir, à titre exclusif, mon correspondant de Londres. Non, vraiment ? Alors peut-être celle-ci, un imprimé de lin mêlé de…
– Non, interrompt le client. Je veux la chemise que j’ai vue dans la vitrine.
– Mais Monsieur, il n’y a pas de chemise couleur lilas dans la vitrine. Je crains que Monsieur…
Et comme le client s’entête, le tailleur, un peu pincé par l’absurdité de ce butor, l’invite à sortir ensemble pour observer les chemises exposées.
– Voilà ! triomphe le client. C’est celle-ci ! là, à gauche !
– Mais, Monsieur, cette chemise n’est pas lilas, elle est blanche !
– He alors ! conclut le gommeux arborant une moue souveraine, vous n’avez jamais vu du lilas blanc ?
Cette anecdote, par-delà son humour trop limite pour être apprécié, exprime l’ambigüité du Premier mai. Car longtemps avant d’être rouge comme les drapeaux des défilés des « partis de gauche », écarlate telle la Commune, d’une belle couleur rouge-cerise – les cerisiers croulaient de bigarreaux dans les petits vergers de Belleville, le premier mai 1871-, tour à tour capucine, coquelicot, incarnat, bordeaux tel le rouge-sang de la Semaine Sanglante à la fin du même mois de mai, la même année, enfin lilas-violet comme les cernes des fusillés du mur des Fédérés, et de Versailles-Satory, -sans oublier l’actuelle Cour d’appel -, le Premier jour de ce cinquième mois de l’année se para d’abord d’un blanc immaculé.
Celui de la monarchie des Valois, le muguet né en région nantaise. Voici en photographie un exemple -type du muguet des Valois.
L’histoire n’est pas banale, et mieux que d’autres, elle évoque ce temps perdu, quand la France était grande, simplement grande, et ignorait la boursouflure qui l’étouffe depuis trop longtemps.
Pour autant, c’est Charles IX, le « pire de nos rois », si on s’en tient à la classification de Michelet, qui se trouve à l’origine d’une des plus délicates coutumes françaises. Le Premier mai est un jour unique, souvent marqué d’un soleil un peu voilé par le vent doux, frais, presque laiteux.
Alors que ce cent vingt-et-unième jour (122 les années bissextiles) marque depuis l’Antiquité le basculement du monde, que le sombre hiver se retire enfin, et que la clochette si touchante de la fleur du muguet sonne l’été approchant et embaume l’air encore frais, mais ayant cessé d’être froid, ce qu’il y a sans doute de plus touchant dans ce jour du Premier mai, ce sont ses libertés.
Présumé juriste pour avoir, durant des lustres, été avocat, magistrat, rédacteur en chef d’une Revue juridique et blablabli blablabla, je n’ai jamais cru aux textes, qu’on nous empile en une « magnifique » tour de Babylone – avec le même destin. Il n’en restera rien. Je crois aux usages admis par le peuple et inscrits dans le temps. Rien, jamais, n’atteindra la sagesse de mes voisins paysans qui, comme les marins, hument l’air et ne se trompent jamais sur le climat du lendemain. On aimerait pouvoir en dire autant de certain service de météorologie, qui saison après saison, fait la fortune des vendeurs de bikinis reconvertis en marchands de parapluie et de plaids. Le Premier mai, c’est un jour de vraie liberté !
- Le seul jour de l’année où les produits, issus du cœur de nos forêts, ces sous-bois magiques où le blanc retient l’œil parmi les herbes sombres et les bandeaux de bleuets, sont proposés par des Français à d’autres. Là, sans enseigne, sans droit de bail, sans URSAFF, sans trésor public, sans échoppe. Mais sur terre. Entre êtres humains. Avec souvent des vœux, des rires.
- Le seul jour pendant lesquels les mots reprennent leur sens. Combien de fois avons-nous pu entendre ou lire cette plaisanterie débile : « la fête du travail, on ne travaille pas » ? Et la fête des morts, le deux-novembre, vous allez mourir ? Eh non ! De même qu’on vénère les défunts à telle date, on fête le travail précisément en s’arrêtant. Quiconque a franchi de longues distances à pied sait qu’on apprécie la marche et la pause, précisément en alternant l’un et l’autre. Il aura fallu mille symposiums et onze cent quatre-vingt douze séminaires pour que nos brillantes têtes d’œuf s’interrogent sur un mot que, ô hasard, ils n’avaient pas même su créer : burn-out, en français « exténuation professionnelle ». Nous connaissons tous de brillants « managers » considérant des absences médicales justifiées comme passibles de sanctions. Henry Ford est mort, mais les ateliers clandestins, fermés, cadenassés, prospèrent…
- La liberté du Premier mai, c’est précisément la liberté de vaquer de droite de gauche. Et pour finir, à tout seigneur tout honneur.
Dans le « style poncif », Michelet doit recevoir la palme. Si ! Car Charles IX est résumé dans l’Histoire officielle au massacre de la Saint Barthélémy (1572). Tout le monde sait aujourd’hui qu’en frappant ainsi, l’Italienne Catherine de Médicis voulait frapper par rebonds le pape et le roi d’Espagne, et démontrer que la France demeurait – ce qui était tout sauf évident – catholique. Charles IX n’aimait ni la Cour ni Paris. On l’a souvent résumé à un chasseur, qui ainsi fuyait sa mère, et recherchait la compagnie de son ami, un certain amiral de Coligny, un des maîtres de la communauté protestante… Que l’on observe juste un instant la carte ci-dessous :
Voici les voyages faits en France Charles IX, avec les moyens de l’époque. Alors, un matin, un premier mai, ce roi amoureux de la nature et dégoûté des courtisans – sans parler de sa mère Catherine et de son cabinet des poisons de Blois, une mère toxique exécrant Charles et tombé en vénération devant son frère puiné, le futur Henri III – alors un matin, frais, un matin de 1560, débarrassé des miasmes de tous ordres, et aspirant la vie à pleins poumons, Charles accueillit avec bonheur un cadeau fait de bon cœur par un brave seigneur du Dauphiné, Louis de Girard. Du beau muguet cueilli à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Charles (1550-1574) reprit l’usage d’offrir le Premier mai un brin de muguet à chacune des dames de la cour en disant : Qu’il en soit fait ainsi chaque année. Voici une vraie loi, messieurs les éditeurs de règlements sur la taille des rustines et autres ratiocineurs de l’article L-239-A-17 b. Une loi : Qu’il en soit fait ainsi chaque année ! Excusez-moi, maintenant, je file respirer et offrir quelques bouquets…
Jean-Philippe de Garate
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