Les variants du coronavirus, plus contagieux, virulents et résistants à une immunité résultant du vaccin ou d’une première infection, se répandent en France à une vitesse inquiétante (déjà 13,20 % en Vendée pour les seuls variants sud-africain ou brésilien, selon l’ARS).
Et si les mutations incessantes du Covid finissaient par dégénérer en une sorte de cancer viral hautement contagieux contre lequel aucun vaccin n’est efficace ? Cette hypothèse est évoquée en aparté dans le livre « eSanté et intelligence artificielle : entre espoir du meilleur et crainte du pire » qui vient de paraître aux éditions Maïa. Il est l’œuvre commune de Patrice Cristofini, médecin, entrepreneur, et expert international en santé connectée, et de Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion internationale mais aussi directeur de l’Institut de Droit Pratique, et à ce titre fin connaisseur des problématiques de protection des données personnelles.
L’ouvrage fait froid dans le dos et donne à réfléchir. C’est un véritable ovni dans l’approche d’un phénomène qui va bouleverser notre quotidien, au-delà de la santé. D’abord, les auteurs ont fait un choix audacieux : mélanger essai et roman sur un rythme si effréné que l’ouvrage de 130 pages, préfacé par Arnaud Benedetti, s’engloutit sans qu’on ait le temps de s’ennuyer un seul instant. Le présent et l’avenir proche sont décrits factuellement : télémédecine déjà boostée par la crise du Covid, et bouleversement des rapports entre le médecin et le patient, diagnostics fulgurants grâce aux nouveaux processeurs et algorithmes gavés au Big Data, folle épopée des prothèses désormais connectées, mais aussi tous les autres objets connectés allant du fitness à la télésurveillance médicale, du smart-shirt aux lentilles de contact pour diabétiques, et même au médicament connecté ! Dans l’esprit de la définition de la santé donnée par l’OMS, qui inclut le bien-être, les auteurs ont eu l’audace de se pencher sur les sex-toys connectés, qu’il s’agisse de l’amour en couple, mais à distance, ou d’interfacer l’objet de plaisir avec le scénario d’un film ! C’est aussi la partie la plus drôle, la plus décalée de l’ouvrage, bien que tous les objets qui y sont présentés soient bien réels.
Le livre n’oblige pas à une lecture linéaire. Par exemple, le lecteur préoccupé par les conséquences éthiques et juridiques de l’intelligence artificielle, en particulier appliquée à la eSanté, pourra directement se plonger dans la partie dédiée, un véritable condensé de droit vulgarisé, qui permet notamment de mieux comprendre qu’on n’est pas si bien protégé par la loi et le RGPD (le règlement européen sur la protection des données) qu’on pourrait le croire. Cette partie pose aussi des questions prospectives : si le patient décède suite à une erreur de diagnostic de la machine, qui serait responsable ?
L’avenir envisagé sous forme de scénarios d’anticipation, aussi éclairants que terrifiants
Curieusement, c’est la première partie de l’ouvrage qui est consacrée au futur, sous forme de deux scénarios d’anticipation. C’est la partie la plus fascinante du livre. La littérature ne manque pourtant pas de chefs-d’œuvre, à commencer par deux immenses classiques : « Le meilleur des Monde » d’Aldous Huxley et « 1984 » de Georges Orwell, auxquels les auteurs font évidemment référence. Raymond Taube et Patrice Cristofini sont partis de faits réels. Le premier récit fictif, « Big Brother is watching you », relève à peine de l’anticipation : le point de départ est une publicité pour une entreprise de pompes funèbres que reçoit une jeune femme pourtant en pleine forme. Notre activité en ligne et l’utilisation croissantes d’objets connectés a pour effet que Google, Facebook et consort, désormais équipés d’ordinateurs quantiques d’une puissance phénoménale, peuvent prédire avec une précision diabolique l’évolution de notre état de santé, comme si nous étions en téléconsultation continue. L’histoire se situe dans un proche avenir (Mark Zuckerberg est président des États-Unis) et nous incite à prendre, ou à reprendre, le contrôle sur nos données.
Le second scénario, « Tuer l’humanité en voulant terrasser la mort » est une nouvelle d’une vingtaine de pages qui part d’un fait réel : le projet HBP (Human Brain Project) de l’Université de Lausanne, dirigé par le professeur Henry Markram, que certains étudiants appellent « Frankenstein » (ce n’est pas une fiction !). Le projet, financé par l’Union européenne, vise à modéliser le cerveau pour mieux comprendre les maladies mentales et neurodégénératives. D’autres travaux de ce type existent aux États-Unis (le projet New Frontier) et sans doute en Chine. Que l’approche soit mécanique et informatique, comme avec les prothèses neuronales, ou relève de la biologie cellulaire aux fins de fabriquer des organes, l’idée que l’on puisse pallier artificiellement à certains dysfonctionnements du cerveau n’est pas nouvelle. Jusqu’à là, le récit de Raymond Taube et Patrice Cristofini s’inscrit dans le réel. Mais la folle ambition de vaincre la mort est presque aussi vieille l’humanité. Des apprentis Frankenstein, il y en eut et il y en aura toujours, et même de plus en plus, avec l’augmentation exponentielle de la puissance de calcul des machines quantiques. Peu importe finalement que la voie de la réparation perpétuelle et du remplacement d’organes soit mécanique ou biologique. Le cœur artificiel Carmat, présenté dans la seconde partie de l’ouvrage, est mécanique, mais d’autres organes sont générés par de la mise en culture de cellules.
Et pourquoi pas le cerveau ? Si l’on admet que nous sommes une machine biologique et que notre cerveau est une usine électrochimique, il n’y a pas de raison pour que les pièces ne puissent être réparées ou remplacées, sans perte de données (notre mémoire). Cette analyse ne laisse aucune place à la métaphysique ou à l’âme. Elle part du postulat que la conscience, nos émotions, nos sentiments sont le résultat de phénomènes exclusivement matériels. D’ailleurs, notre perception n’est-elle pas altérée par les psychotropes, l’alcool, les drogues, les antidépresseurs ou les anxiolytiques ? Sans que l’immortalité soit l’objectif avoué, réparer et remplacer sans fin pourrait techniquement y mener. Mais l’Homme, que d’aucuns accuseraient de se prendre pour Dieu ou le diable, mettrait alors en péril l’humanité. Comme son intitulé le laisse comprendre, l’histoire se termine mal ! Et pour en arriver à la fin de l’humanité, les auteurs ont dû appeler en renfort la guerre et la pandémie, avec un clin d’œil aux mutations du coronavirus. Mais avant, ils nous comptent la fabuleuse histoire du développement du cerveau artificiel. Que se passe-t-il, lorsque les chercheurs lui demandent de composer une œuvre musicale ou… d’écrire un roman d’anticipation sur l’intelligence artificielle ! Là aussi, on oscille entre le présent et le futur, car de la musique ou des romans écrits par l’ordinateur, cela existe déjà, et pourrait se développer considérablement pour le plus grand bénéfice des industriels de la culture (Amazon, Netflix, Spotify…).
Les auteurs imaginent la fin de l’humanité dans un siècle. Quand on songe à ce qu’était le monde il y a cent ans, et que l’on observe l’accélération de la science et de l’informatique, qu’on y ajoute les périls environnementaux et politiques, et les risques pandémiques, ce scénario apocalyptique prend les contours d’une hypothèse plausible. Pourtant, le pessimisme n’est pas la tonalité dominante de l’ensemble du livre de Patrice Cristofini et Raymond Taube, préfacé par Arnaud Benedetti. Il est effectivement un livre d’espoir et de mise en garde. Le message est finalement simple : nous ne devons abandonner notre avenir aux GAFAM et aux apprentis sorciers. Nous devons être vigilants. Comme l’indique la conclusion de l’ouvrage, empruntée à Rabelais dans son chef-d’œuvre Pantagruel publié en 1532, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
Michel Taube
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