Afriques
10H10 - vendredi 7 mai 2021

Miser sur la French touch pour sauver la présence des entreprises françaises en Afrique francophone. L’analyse d’Adrien N’Koghe-Mba

 

En stratégie d’entreprise, la « vallée de la mort » désigne la période de turbulence que traverse une entreprise qui, à un moment donné, se trouve bloquée faute d’adaptation et risque tout simplement une « mort prématurée ». Au vu de la situation actuelle en Afrique francophone, ce risque de mort prématurée grandit chaque jour pour les entreprises françaises qui y sont implantées. Si, vu de France, le risque semble minime, un regard croisé met en évidence sans ambiguïté, pour les entreprises, la nécessité de faire face aux changements contextuels marqués par à la fois un ressentiment anti-français croissant et la montée en puissance sur ces territoires de pays émergents. Les changements du monde économique sont profonds et les entreprises françaises doivent sans tarder ajuster leur stratégie en mettant en œuvre d’importants canaux de confiance sous peine de disparition.

L’Afrique francophone est plus que jamais un territoire de compétition stratégique entre les grandes puissances, où la France doit pouvoir trouver sa place.

 

Comprendre et inverser le ressentiment anti-français qui s’ancre

Comme le constate Achille MBEMBE, le rejet de la France par la jeunesse africaine francophone est réel et violent : “ Dans les pays dits francophones où un véritable basculement culturel est en cours et où, grâce à l’activisme d’une lumpen-intelligentsia locale arc-boutée sur les réseaux sociaux, être par principe contre la France est en train de revêtir les traits d’un devoir moral.”

Cette situation visible sur le terrain au quotidien et en permanence est attestée à la fois par les leaders d’opinion en Afrique francophone sondés par le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), avec une dégradation constante depuis trois ans, et pour les populations, par la fondation Ichikowitz[1] : à titre d’exemple, au Gabon comme au Sénégal, et c’est vraiment inquiétant, plus de deux tiers des 18-24 ans considèrent que la France a un impact négatif sur leur quotidien. La proximité de certains gouvernants français et africains entretient une incompréhension qui donne lieu à une sorte de rancune globale à l’égard de la France. Cette situation pourrait être en mesure de s’inverser avec une communication et une pédagogie sincères de nature à redonner confiance.

Les efforts d’entreprises françaises doivent être rendus audibles, notamment les actions menées dans le cadre de leur responsabilité sociale, pour contrer ce ressenti humain que l’on ne peut plus ignorer et qui est déjà un avantage déterminant pour la concurrence. Il est encore temps de réagir et rétablir cette confiance entre les acteurs économiques et les populations locales qui doivent prendre part à leur destin. La jeunesse africaine doit être reconsidérée comme une partie prenante de premier plan, il faut l’écouter, la faire participer au développement responsable de son territoire.

 

La place des émergents

Selon les prévisions pour l’année 2030 de la banque britannique Standard Chartered repris par le World Economic Forum (WEF), la Chine, la Turquie et la Russie seront respectivement première, cinquième et huitième économies mondiales en 2030, tandis que la France serait selon sa trajectoire[2] actuelle rétrogradée entre la 16e et la 20e économie au monde. De même, dans une enquête de la revue Hérodote[3], Frédérick DOUZET, professeure de géopolitique à l’Université Paris-8 montre que la Chine et la Russie déploient de grands moyens pour influencer les États d’Afrique francophone sur la toile.

La présence avérée et de plus en plus active de ces pays émergents en Afrique et leur même volonté de s’y installer rapidement et durablement, au détriment de la France, concourent pour la jeunesse africaine à la perte de pertinence et d’utilité de la présence économique de la France. Il faut éviter la marginalisation des entreprises françaises soumises à une concurrence plus riche que jamais. Cette concurrence mène une véritable stratégie d’influence parfaitement exécutée, qui pourrait aboutir à la disparition de la coopération entre la France et l’Afrique francophone.

Un positionnement reconsidéré et accepté en confiance entre la France responsable et l’Afrique francophone pourrait changer la donne et redonner aux populations la visibilité attendue pour 2030. Les réseaux sociaux et les outils digitaux doivent permettre une transparence positive qui permettra de renouveler la confiance sur des bases objectives.

 

Comment changer la donne : la french touch !

Momar NGUER, président du comité Afrique du Medef international le dit clairement : “ Pour ce qui est de l’Afrique, et parce que les entreprises françaises y sont installées depuis longtemps, la société qui pose à chacun la question du sens de sa mission nous la pose aussi. En quoi vous nous êtes utiles ? Nous devons apprendre à répondre à ces questions… C’est d’un immense travail de pédagogie qu’il s’agit. Je n’aime pas le mot de guerre économique, mais nous avons des concurrents. Il ne faut jamais l’oublier.

Il est vrai que la France ne manque pas d’atouts, de spécificités : existence de partenariats à long terme, qualité des services, pratiques respectueuses de l’environnement, promotion de l’égalité hommes-femmes et de la santé par des actions éducatives fortes. Tous ces éléments de différenciation, tout comme la francophonie, constituent la French Touch. Pour autant, la France manque cruellement de capacité à se faire entendre et comprendre dans le bruit des réseaux sociaux.

Il est donc vital pour les entreprises françaises d’investir dans des canaux de confiance pour s’adresser à la jeunesse africaine car dans le monde des réseaux sociaux faire-savoir est aussi important que faire. Sur le moyen et long terme cette jeunesse est la meilleure alliée si et seulement si elle ne regarde pas vers d’autres horizons même s’il s’agit de mirage. Il faut attirer son attention, la responsabiliser et s’appuyer sur des faits pour élaborer un nouveau narratif de confiance mutuelle.

Tout l’enjeu pour les entreprises hexagonales, et ce à très court terme, est de conquérir les cœurs et les esprits non seulement des leaders d’opinions mais également des populations locales pour se donner un destin commun co-construit. Les idées existent, des projets pragmatiques, misant sur l’éducation, qui est la base du renouveau, sont prêts à être déployés pour atteindre ce futur souhaitable.

 

Adrien N’KOGHE-MBA

Franco-Gabonais, Adrien N’KOGHE-MBA vit à Rennes. Il est le président de Wany entreprise dont l’ambition est de donner les moyens à la jeunesse africaine de s’adapter et d’être résiliente face à la crise climatique par la sensibilisation aux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations-Unies. À Libreville, il est directeur général de l’Institut Léon Mba. Adrien est également membre du comité directeur du Club Objectif Avenir Afrique (O2A), think-tank dédié, entre autres, à rapprocher l’Europe et l’Afrique sur des bases renouvelées.

 

[1] https://ichikowitzfoundation.com/ays2020/

[2] https://www.lepoint.fr/politique/peut-on-encore-eviter-le-declin-08-04-2021-2421268_20.php

[3] https://www.herodote.org/spip.php?article943

 

 

 

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