Quelle question !? s’exclameront les adeptes de l’ordre et de la discipline, ulcérés qu’on puisse la poser. Pour eux, laisser son lit en vrac, c’est le début de la débâcle. Même pas une option. De leur côté, les rebelles qui renâclent à se plier au diktat des routines – mais seulement les domestiques : ils ne renonceraient jamais à leur café du matin ni à leur clope d’après câlin –, argueront volontiers de l’inutilité de cette action profane et mortellement ennuyeuse, se moquant des lits au carré et de leurs aficionados, quitte à les traiter de fachos.
Quelle question ?! entonneront à leur tour, mais pour des raisons différentes, les gens sérieux préoccupés par des sujets plus importants que les tâches ménagères, d’autant qu’en général ils peuvent s’en décharger sur d’autres. Parlez-leur plutôt de grandes causes, de politique, de finances, d’écologie, de liberté ou d’égalité des chances. Parlez-leur de sauver le monde, ou mieux encore de le changer.
Eh bien, justement ! Parlons-en.
Ainsi, l’amiral McRaven, célèbre pour avoir en 2011 supervisé l’opération Neptune’s Spears au cours de laquelle les forces spéciales de la marine américaine avaient « éliminé » Ossama Ben Laden, a publié en 2017 un essai de 96 pages intitulé « Faites votre lit – les petites choses qui peuvent changer votre vie… et le monde ». Il avait déjà évoqué le sujet en 2014 lors de la cérémonie de remise des diplômes de l’université du Texas. « Si vous voulez changer le monde, commencez par faire votre lit ! » avait-il affirmé. Il expliquait dans son discours se souvenir de son temps de formation chez les Marines, et de l’inspection des lits tous les matins à l’aube. Cette pratique qu’il trouvait ridicule à l’époque s’était révélée à lui, avec le temps, pleine de sagesse. Exiger de soi-même rigueur et qualité dans ses actes les plus simples, et cela dès le réveil, impactait tout sa journée.
Combien de réticents la théorie de l’amiral a-t-elle su convertir ? L’histoire ne le dit pas. D’ailleurs, était-ce nécessaire ? En effet, en théorie, les partisans du « faire son lit » semblent largement surpasser en nombre ses opposants. Sur les réseaux sociaux, les témoignages pullulent d’internautes vantant les bienfaits d’un lit tiré à quatre épingles qui aiderait, selon eux, à mettre leurs idées en ordre, ou s’extasiant du plaisir de se pelotonner après une longue journée dans des draps frais et bien tendus. Je n’en ai lu aucun, en revanche, sur la satisfaction de se coucher sur un matelas à moitié débraillé, sous une couverture en bouchon.
Mais qu’en est-il de la pratique ? vous demandez-vous, comme moi. Interrogé, mon petit doigt ne m’a pas livré ce secret. Et je lui en sais gré. À chacun son intimité. Et à chacun aussi d’assumer ses responsabilités.
Car, comme dit le proverbe : comme on fait son lit, on se couche.
Catherine Fuhg