Opinion Internationale lance Opinion Internationale Afriques. Tous les quinze jours, une édition spéciale sera consacrée aux vrais enjeux : alternances, gouvernances et État de droit, entrepreneurs, investissements et sécurité des affaires, lutte contre l’islamisme radical, éducation, alimentation, démographie, Sois belle et ouvre la, vie des arts et des cultures, géopolitique et amitié avec la France, mémoires partagées. Les femmes, les hommes et les solutions qui font vivre le continent seront à la une d’Opinion Afriques !
Une initiative de Michel Taube, fondateur d’Opinion Internationale, éditorialiste et écrivain, et de son équipe, avec Alain Dupouy, consultant International, directeur Général du Cabinet OM2A Consulting (Outre-Mer & Afrique), Président du Think Tank Club Objectif Afrique Avenir O2A.
Les deux photos sont saisissantes…
Le 28 novembre 2017 à l’université de Ouagadougou au Burkina-Faso, Emmanuel Macron réveilla l’espoir d’une nouvelle relation de la France avec l’Afrique. Un discours tourné résolument vers la jeunesse africaine, une rock star qui parla droit dans les yeux de jeunes pleins d’espoir, à tel point que les aînés, notamment les chefs d’Etat africains et singulièrement Roch Marc Christian Kaboré présent sur place, s’en trouvèrent gênés aux entournures.
Et puis il y eut le 23 avril 2021 et la visite éclair d’Emmanuel Macron à N’Djamena au Tchad pour les obsèques d’Idriss Déby Itno. Assis à côté de son fils, il oublia (?) d’aller à la rencontre de la société civile et notamment de la jeunesse, tentant de se rattraper quelques jours après par un communiqué trop tardif pour arriver aux oreilles des citoyens tchadiens et africains dépités par les événements. Un oubli qui résonne comme une faute politique qui risquer d’entacher le quinquennat africain du président français. Et de nuire à l’image de la France en Afrique, déjà fortement ternie, souvent pour des raisons injustes.
Le mal est-il fait ? La macronie serait-elle retombée dans les affres de la FrançAfrique ? On se souvient des années Mitterrand, – puisqu’on commémore les 40 ans de son accès au pouvoir -, et des velléités de transparence de son ministre de la coopération Jean-Pierre Cot qui furent rapidement étouffées par certaines traditions franco-africaines. Le même sort s’emparerait-il d’Emmanuel Macron ?
Le président de la République française accueille les 17 et 18 mai 2021 la Conférence internationale d’appui à la transition soudanaise et au Sommet des économies africaines. L’heure de vérité pour Emmanuel Macron l’Africain ?
Ce premier Sommet international, le premier en présentiel depuis la crise du Covid, en présence de nombreux chefs d’Etats africains, mais aussi du G20, de Chine, des Nations unies et des nombreuses organisations régionales, panafricaines et internationales de financement des économies, est le prolongement de la tribune qu’avait publiés 18 chefs d’Etat et de gouvernements dans le Financial Times et Jeune Afrique le 15 avril 2020 appelant à imaginer de nouveaux financements pour permettre à l’Afrique de gérer la crise du Covid et d’assurer son développement, tant au bénéficie des Etats que des acteurs du secteur privé. Les auteurs proposaient une réponse multilatérale, notamment avec le G7 et le G20, à la gestion de la crise du Covid, et demandaient un moratoire immédiat sur le service de toutes les dettes africaines extérieures.
Le Sommet de Paris scellera-t-il le retour de Macron l’Africain ?
Il reste en effet une année (ou un second quinquennat ?), pour que Macron l’Africain soit digne des espoirs suscités à son arrivée à l’Elysée. La question est : comment peut-il renouer avec la vision que devrait porter la France en Afrique, celle des sociétés civiles libérées, des jeunesses mobilisées, des Etats de droit qui consolident et sécurisent le monde des affaires (du business s’entend et non des combinazione rentières et népotiques) ? Bref, comment tenir la promesse de Ouagadougou ?
Face à la Chine, à la Russie (qui n’a pas été invitée à Paris sous prétexte qu’elle ne fait pas partie des créanciers du continent), à l’Inde, à la Turquie, aux puissances pétrolières du Moyen-Orient, la France a une carte à jouer : celle des sociétés civiles, que ces nouvelles « puissances africaines » méprisent allègrement. Car seules ces jeunesses actives et engagées peuvent provoquer les alternances démocratiques qui ne s’imposent plus de Paris ou d’ailleurs. Emmanuel Macron le sait : il y a belle lurette que la France ne fait plus ou ne défait plus tel ou tel chef d’Etat en Afrique. Mais la France de Macron mise-t-elle vraiment sur les sociétés civiles comme le laissait espérer le discours de Ouagadougou ? L’épisode de N’Djamena semble indiquer le contraire.
Le Tchad est une exception et reste un pré carré français, car ce pays est l’un des seuls à soutenir sur le terrain, avec hommes et matériels, la stratégie militaire de la France dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. Le Tchad est un peu la chasse gardée de l’armée française. Pour le plus grand bien de nos amis africains car sans les opérations Serval, Epervier puis Barkhane, appuyées depuis la première heure par le Tchad, le Mali et bien d’autres pays seraient aujourd’hui des califats islamiques.
En fait, le pari d’Emmanuel Macron est de ne pas aller en frontal contre ou face à des chefs d’Etats africains dont, à de trop rares exceptions, le respect de l’alternance et le sens de l’Etat fondent comme neige au soleil d’années en années. Il se dit qu’Alpha Condé n’a pas été invité au Sommet de Paris. Pourquoi lui et pas quelques autres non moins autocrates dans leurs pays ?
Non, Emmanuel Macron préfère déplacer son curseur politique sur deux autres terrains : les diasporas africaines et les financements des économies en Afrique.
La carte des diasporas
Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron flirte avec les diasporas africaines. Son Conseil Présidentiel pour l’Afrique (CPA) est sensé lui assurer une connexion directe avec les forces vives de l’Afrique… installées en France mais qui financent largement leurs pays d’origine par des transferts de fonds massifs, supérieurs à l’aide publique gérée par l’Agence Française pour le Développement.
Calcul politicien : « J’ai plus de 10 millions de nos concitoyens qui ont des familles de l’autre côté de la Méditerranée », avait lâché Emmanuel Macron le 18 février dernier, dans un entretien accordé au Financial Times, à propos du transfert de 3 à 5 % de vaccins anti-Covid aux pays africains.
Calcul politique aussi car on pourrait supposer que les leaders des diasporas africaines en France seraient moins serviles aux tyrans (pour reprendre la terminologie du dernier livre de Vincent Hugeux) africains qui étouffent les sociétés civiles dans leurs propres pays. Est-ce vraiment leur cas de nos diasporas africaines en France ?
Emmanuel Macron voulait faire en grand avec les diasporas africaines mais le Covid est venu annuler la programmation de l’Année africaine en 2020. Et rebelote, le Sommet de Montpellier qui devait se tenir début juillet 2021 est à nouveau annulé. Selon nos sources, les raisons de cette annulation sont profondes et bien éloignées de la crise du Covid.
C’est désormais la Banque Publique d’Investissement, qui prendra le relai en organisant à l’automne un nouveau Sommet. Si Covid le veut !
La carte financière
La BPI ? C’est bien la preuve, avec le programme du Sommet de Paris mardi, que l’économie prendra désormais le dessus sur toute autre considération dans la gestion de la relation de la France à l’Afrique. Justement, venons-en au second chantier d’Emmanuel Macron. Celui du financement des économies. Sur ce terrain, Emmanuel Macron est à l’aise.
Le financement de l’Afrique, de son développement, des besoins des entrepreneurs africains (les grands oubliés de la Conférence de Paris, comme le rappelle Didier Acouetey dans une interview exclusive qu’il nous a accordée), de ses problèmes démographiques et environnementaux, de la lutte contre le djihadisme islamique, tout cela coûte et coûtera des centaines de milliards d’euros. La COP21, rien que sur le volet de la lutte contre les effets du changement climatique, avait évalué les besoins à 100 milliards d’euros par an pour l’Afrique. Dix ans après, nous en sommes très loin !
L’heure est donc vraiment venue de lancer un « New Deal financier » en Afrique, comme l’explique Alain Dupouy, Président du Think Tank Club Objectif Afrique Avenir O2A. La raison d’être de ce Sommet de Paris.
L’argent, le nerf de la guerre ! Justement : lors de ce Sommet des économies africaines, sous la voûte du Grand Palais éphémère puisqu’en travaux, et si Macron l’Africain prononçait son grand discours de La Baule, celui qui inviterait les chefs d’Etat d’Afrique à lancer un processus de démocratisation sous peine, dans le cas contraire, d’être privés du soutien financier du Nord.
Et si Macron osait dire à ses homologues africains : désormais, les aides publiques internationales seront destinées aux entrepreneurs africains, et subordonnées à l’utilisation de tous les moyens technologiques de traçabilité de leur emploi et de leur juste destination ? La blockchain en est un moyen efficace comme le défendent les auteurs d’une tribune remarquée* ? Et si le président français ajoutait, pour répondre aux enjeux politiques en France : nous ne pouvons plus recevoir des migrants qui fuient vos régimes corrompus (comme le rappelle la chronique de Michel Scarbonchi), et nous cessons toute aide publique tant que vous n’aurez pas créé de l’alternance dans vos pays et rapatrié ceux de vos migrants qui se sont radicalisés et sont devenus délinquants sur notre territoire ?
Macron l’Africain ne prononcera pas ce discours.
Mais en fait la vraie bonne idée du Sommet de Paris, c’est son premier volet, c’est l’appui à la transition soudanaise… Les Soudanais sont en train de créer un modèle africain de transition démocratique, où le pouvoir se partage entre militaires et civils avec un conseil militaire de souveraineté, et de l’autre, un gouvernement civil. Le Tchad pourrait en prendre le chemin. Le Sommet de Paris jettera-t-il les bases d’un nouveau modèle africain de transition démocratique ou de gouvernance en consolidant la jeune démocratie soudanaise ? Espérons que sortira de Paris la réintégration du Soudan dans les circuits de financement internationaux. Le Soudan qui, rappelons-nous, participe à cette dynamique internationale créée par les Accords d’Abraham en se rapprochant d’Israël, preuve s’il en est besoin de la profondeur de la révolution soudanaise.
Que le Sommet de Paris consolide déjà la démocratie au Soudan et donne envie à d’autres pays africains de faire de même. Ce serait un petit pas pour Macron l’Africain mais un grand pas pour l’Afrique.
Michel Taube
*« Pourquoi l’Afrique doit miser sur la blockchain ! » : Tribune de Stéphane Brabant, Sylvain Cariou, Gilles Mentré, Wilfrid Lauriano Do Rego dans Le Point du 24 avril 2021
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