La Galerie Art-Z ouvre ses portes à nouveau, après cette longue et pénible parenthèse.
Pour cette « renaissance », carte blanche à l’artiste Evans Mbugua qui a choisi d’inviter trois artistes kenyans de grand talent : Onyis Martin, Lemek Sompoika et David Thuku. Evans dévoilera en parallèle un an et demie de création « confinée ».
Avec Evans Mbugua, au départ, il y a la contemplation des vitraux. Leur transparence, leur lumière, l’émotion qu’ils génèrent. Evans Mbugua s’essaie ainsi d’abord à la peinture sur verre, ou « sous-verre » (comme la tradition Souwère du Sénégal, tradition qu’on retrouve également dans son Kenya natal).
Evans cherche dans son travail à retrouver et à re-présenter les émotions suscitées par les personnes qu’il connaît, qu’il a prises en photo. Il puise ses sujets dans son cercle d’amis, parmi les artistes et sa famille. Principalement au sein de cette famille d’amis artistes, qu’il s’est constituée au fil des années : Saidou Dicko, Mabeye Deme, Mamadou Cissé, Bruce Clarke, Virginie Ehonian, et, bien sûr, sa femme Céline, elle-même artiste.
Depuis 2015, Evans part toujours de ses propres photos.
Pour lui, un portrait est la trace, le souvenir de chacun de ses amis, des représentants de cette humanité, des liens, aussi ténus et forts que ses points d’huile sur le plexiglas. Des moments intenses, qui se rappellent à lui, têtus, souvent après coup. Les yeux des sujets sont ouverts, mais pourtant vides, fenêtres directement ouvertes sur l’âme et ses mille émotions contradictoires. La profondeur de ses œuvres est renforcée par la densité des points, et par les motifs, les pictogrammes stylisés qui en constituent les « fonds ».
Son défi : utiliser le moins de points possible pour représenter une personne aussi fidèlement que possible. Ainsi, le personnage se fond dans le motif, qui devient ainsi à son tour le personnage : ici, pas de « premier » ni de « second » plan.
Les pictogrammes d’Evans sont inspirés de la signalétique urbaine, à Paris, Nairobi, Dakar ou Tokyo… Ces motifs sont universels, et régissent notre « vivre ensemble ». Les peaux, que l’on devine souvent noires, sont en réalité très colorées, hybrides, métissées.
Mbugua a avant tout une grande affinité envers ses amis urbains, quelle que soit leur origine.
Les pictogrammes urbains constituent le lien de cette nouvelle communauté. Son panthéon, peuplé de héros du quotidien, devient source de nouvelles icônes.
La peinture sur plexiglas est chez Evans Mbugua le moyen nécessaire, pour « voir » l’essence des sujets, et son fond saturé de pictogrammes, une tentative pour capter, dans l’espace et dans la lumière, la présence vivante, fuyante, de l’être qui lui fait face. Evans fait preuve d’une très grande exigence, d’une quête de « vérité » qui ne peuvent être comparées qu’à celles des grands artistes.
Sa singularité, sa complexité résident peut-être dans le balancement – qui constitue le principe de son art – entre la nécessité d’établir une construction (le motif des pictogrammes) et l’impératif de restituer l’émotion de l’apparition.
Ses petits points de peinture sont à la fois impérieux et en creux : ils ne cernent pas totalement les êtres, ne définissent pas. Mbugua crée des perspectives, propose des limites provisoires, fait état de métissages, de mutations. Ses suggestions pointillistes n’arrêtent pas la forme des êtres, elles en disent au contraire les nombreuses et changeantes facettes.
En multipliant ses possibilités de paraître, il laisse les êtres à leur devenir incertain, à leur mobilité joyeuse. Et cette apparente fragilité, ténue, instable, inscrite sur le plexiglas, est en réalité un noyau d’énergie immense, comme suspendu dans le vide.
Olivier Sultan
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