Le choix de trois écrivains pour la vie, pour l’écriture. Vie et écriture réunies par l’expérience qu’ils partagent de la mort. Entre stratégie de survie qu’offre l’oubli et le douloureux voyage dans la mémoire, ils interrogent le pouvoir de l’écriture et la puissance du langage. Une ode à la vie pour apprivoiser la danse entre vivants et disparus.
Nous aimerions tellement l’oublier, l’éloigner de nous, la compartimenter dans un coin isolé de notre existence : mais la mort fait partie de nos vies, et nous enlève nos proches parfois soudainement, sauvagement, en attendant d’éteindre aussi notre souffle. Avec la crise sanitaire, notre condition mortelle est encore plus évidente. Delphine Horvilleur, rabbin et auteure du livre « Vivre avec nos morts, petit traité de consolation », Edition Grasset connaît bien nos tentatives d’ignorer la mort. « Nous aimons croire que les parois sont hermétiques, que la vie et la mort sont bien séparées et que les vivants et les morts n’ont pas à se croiser » écrit-elle dans son dernier ouvrage. « Et s’ils ne faisaient que cela en réalité ? Tout au long de notre existence, sans que nous en ayons conscience, la vie et la mort se tiennent continuellement la main et dansent. »
En tant que rabbin, elle est amenée à accompagner les morts dans leur dernière demeure ; mais aussi à trouver les mots justes pour ceux qui restent, les proches, la famille et les amis. Elle raconte quelques-uns de ces moments sans rien cacher des difficultés de cette tâche, ni des impacts que celle-ci peut avoir sur sa propre vie. Elle s’appuie sur sa connaissance érudite de textes religieux, qui ne manquent ni d’humour désespéré, ni d’interrogation existentielle.
Pour elle, il est crucial de faire une place aux vivants dans la mort. « Et pour cela, écrit-elle, il faut que nous puissions raconter [les disparus.] » Une partie de son travail consiste ainsi à écouter les vivants parler de leurs proches, puis à restituer cette histoire. « Accompagner les endeuillés, non pas pour leur apprendre quelque chose qu’ils savaient déjà, mais pour leur traduire ce qu’ils vous ont dit, afin qu’ils puissent l’entendre à leur tour » explique-t-elle. « Parfois, il n’y a rien, juste des silences ou des tabous. D’autres fois, il y a l’injustice totale d’une mort, celle d’un enfant, ou d’une victime de terrorisme ».
On connaît l’importance des contes qui permettent aux enfants d’apprivoiser la peur et de faire connaissance avec la mort. Sans parole, sans mot, le deuil est impossible. C’est aussi le constat dressé avec pudeur et délicatesse par François-Xavier Perthuis dans son livre Blessures (Edition l’Harmattan). L’auteur a perdu une petite sœur, Christine quand il avait deux ans et un petit frère, Philippe, âgé de deux jours, son « petit frère éphémère ». Un double traumatisme qui n’a pu être dit parce que ces morts sont restées secrètes jusqu’à ce que ce silence fasse exploser la vie de l’auteur. « Le secret rend immanquablement les choses encore plus lourdes à vivre qu’elles ne le sont par elles-mêmes car l’enfant fantasme, consciemment ou inconsciemment, que ce dont on ne peut parler doit être littéralement monstrueux », note le pédopsychiatre et psychanalyste Bernard Golse dans une magnifique préface au livre.
Parler permet de vivre avec le passé que chacun porte en soi. Le deuil impossible fait courir le risque d’une entrave à la vie. Alors, comment parler quand on se trouve soi-même confronté à la perte et au malheur ? Comment ne pas laisser des représentations dans le vide ? C’est à travers le théâtre que Robert Badinter fait parler les fantômes. Dans une des pièces de son ouvrage « Théatre I », publié aux Editions Fayard, il imagine la rencontre entre les deux principaux responsables de la déportation des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale : Pierre Laval et René Bousquet, dans le décor de la « cellule 107 » de la prison de Fresnes, en octobre 1945. Une autre façon de parler face à la grande Tragédie, en mêlant histoire, justice et fiction.
Merci à ces trois auteurs d’avoir réussi à nous faire partager leurs émotions.
Anne Bassi
Présidente de l’agence Sachinka et chroniqueuse littéraire d’Opinion Internationale, Anne Bassi a publié son premier roman, « Le silence des Matriochkas » (Editions Berangel).
Les conseils lecture d’Anne Bassi :
Marie-lou-le-monde, Marie Testu, Editions le Tripode
Un roman, presqu’un poème pour évoquer les premiers émois et l’absolu de la passion amoureuse d’un adolescent.
Le démon de la colline aux loups, Dimitri Rouchon-Borie, Editions le Tripode
Un roman éprouvant sur la vie chaotique d’un enfant élevé dans la violence. Un parcours déchirant.
Les terres promises, Jean-Michel Guenassia, Editions Albin-Michel
Une grande fresque des années d’après-guerre. Des héros attachants, une époque ressuscitée illustrant la fin des utopies et le rêve d’une terre inaccessible.
Comprenne qui voudra, Pascale Robert-Diard, Editions Iconoclaste
L’histoire d’une passion hors la loi qui a déchiré la France. L’affaire dite « Gabrielle Russier » ou l’amour entre une Professeur et son élève. Poursuivie pour détournement de mineur elle incarcérée ; le Président Pompidou citera alors à l’occasion d’une conférence de presse le poème d’Eluard « comprenne qui voudra ».
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