Chronique pour la nouvelle époque de Jean-Philippe de Garate
Qui veut parler de racisme doit d’abord relire Jonathan Swift. L’Anglo-irlandais, pasteur anglican, né et mort à Dublin (1667-1745), l’auteur des célèbres Voyages de Gulliver (1726) est pour sa part, bien oublié. Dans notre nouvelle époque marquée par les affrontements communautaires, ethniques, Lilliput demeure l’île la plus proche de nous. Une proximité non géographique ! Car le territoire insulaire se trouve dans l’Océan Indien, au sud de l’Australie. Pas vraiment la porte à côté ! Et pourtant, nous sommes tous des Lilliputiens. Oui, certes, les petits hommes ne mesurent que six pouces, soit un peu plus que quatorze centimètres, mais la taille n’est pas synonyme de faiblesse ! Pour preuve, nos petits nains passent leur temps à faire la guerre à l’île voisine. Vous ne me croyez pas ? L’ouvrage du Pasteur Swift n’est qu’une satire ? Un conte philosophique ? Peut-être…mais la très exigeante Académie française a pour autant intégré l’adjectif « lilliputien » dans son dictionnaire dès 1878. Pourquoi ?
Parce que l’homme dispose d’une rare caractéristique, unique dans la nature : celle d’ajouter à son propre malheur. Comme si les épreuves de la vie ne lui suffisaient pas ! Je dois à la vérité de dire, pour avoir traîné dans le monde judiciaire durant des décennies, rester toujours aussi étonné de ce fait. La Covid, comme les tsunamis et autres horreurs, offre -calmons-nous et constatons-le – un seul mérite : suspendre un peu, ici et là, cette hargne ! Défile devant ma mémoire cette femme arrivée au tribunal avec une lourde valise des mots écrits durant 22 ans à son mari. Vingt-deux ans de haine. Mais quel temps perdu ! Mais… quel rapport, direz-vous, avec le racisme ?
Pour répondre à cette question, il faut encore un peu de patience.
Qui a vécu dans l’Afrique du Sud de l’apartheid ne peut pas concevoir le racisme comme il l’est en France. Il y a de cela des lustres, revenant précisément de Johannesburg et de son Université où avait étudié Mandela, j’assistais comme spectateur à un meeting tenu à Sciences-Po contre le régime de Pretoria. À l’évidence, aucun des intervenants, y compris l’important du moment, un blablateux devenu ministre, n’avait mis un pied à Durban, Cape Town ou dans le Transvaal : les Zoulous n’existaient pas, le prince impérial (1856-1879), fils de Napoléon III, était sans doute mort d’une mauvaise bronchite près de Pongola, Natal… C’était surréaliste ! Que l’Inkhata zouloue règle sans excès de douceur ses différents avec l’ANC bantoue était gommée, en réalité ignorée. Comme l’histoire de ces groupes ethniques -Bantous et Zoulous- avant l’arrivée des Hollandais, au milieu du dix-septième siècle, puis des Protestants français (1685) … Avant les « Blancs », tout allait bien…Il ne manquait plus qu’une distribution d’écourgées pour renouer avec les processions de Flagellants derrière Henri III. Décidément, jamais rien de nouveau sous le soleil de Lutèce… La puérilité au pouvoir. Au fait, juste deux questions bien actuelles, elles : 1. Quelle est l’espérance de vie des Sud-Africains en 2021 ? 2. La première cause de mortalité des hommes ? Je ne répondrai pas. Les chiffres officiels sont à disposition…
Fatigué des poncifs de nos doctes, sortant fumer dans le hall, j’aperçus la table comportant les gros cahiers déjà surchargés de signatures et destinés à l’Ambassade du 59, quai d’Orsay. Le meeting se terminait, je fumais décidément tandis que deux femmes de ménage d’origine africaine nettoyaient le sol autour de la péniche, ce banc du hall ayant la forme d’une embarcation pour mariniers. La horde des étudiants sortit d’un jet, et bouscula sans la moindre gêne les braves techniciennes de surface en plein travail. A l’époque, on fumait partout, et je restais encore satisfaire mon goût, apercevant le visage déconfit de ces femmes. Elles constataient l’étendue des dommages : recommencer tout leur nettoyage. Double travail…Merci, vigoureux défenseurs des minorités opprimées ! Anti-racistes militants !
Depuis ce jour, j’ai un peu de mal à entendre les tirades ampoulées de nos braves énarques-sciences poseurs, « anti-racistes de choc » devenus ministres ou mieux encore, militants le mardi, de 17 à 19 heures. « Faîtes ce que je dis, pas ce que je fais », l’éternelle antienne d’une certaine France.
Nous avons tous pu le constater : le racisme anti- africain demeure un créneau, comme le racisme anti-européen – pour ne pas dire « anti-visage pâle » – l’est devenu. Relevons au passage ce que personne, ou à peu près, ne mentionne. Jamais ! le comportement en Afrique des entrepreneurs Chinois en Afrique…Qu’y font-ils, précisément ? Mais c’est, forcément, un « autre sujet ».
La seule leçon sur la question demeure le test du miroir. Et là, nous retrouvons notre Pasteur anglo-irlandais, Jonathan Swift. Pourquoi les Lilliputiens font-ils la guerre à leurs voisins ? La question est grave, Citoyens ! C’est une question intéressant les principes mêmes qui nous gouvernent ! L’œuf à la coque doit-il être posé sur sa partie renflée ou le bord effilé ? Le racisme, c’est ça. On se regarde dans le miroir et on aperçoit un autre que soi. La tête à l’envers. À moins que ce soit la sienne propre, qui soit inversée…
Mais pour finir, relisons l’épitaphe de Swift : « Ici repose la dépouille de Jonathan Swift, doyen de cette cathédrale, qui désormais n’aura plus le cœur déchiré par l’indignation farouche. Va ton chemin, voyageur, et imite si tu le peux l’homme qui défendit la liberté envers et contre tout ». Et n’oublions pas le principal : les quelques fonds dont le Pasteur disposait à sa mort furent distribués pour l’érection d’un lieu de soins, l’hôpital Saint Patrick « for Imbeciles » … ça résume. Peut-être faudrait-il songer à agrandir l’établissement ?
Jean-Philippe de Garate
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