Article paru le 31 mai 2021
C’est l’histoire d’un lycéen plein de promesses, reconnu par tous comme un citoyen éclairé, engagé et bienveillant. Respecté dans son lycéen, son quartier. Correspondant depuis l’âge de 16 ans d’un grand quotidien régional. Eh bien, cet élève, les algorithmes de ParcourSup et les instructeurs des Sciences Po de France n’en voudront pas !
Pendant un instant, l’auteur de ces lignes s’est souvenu qu’en 1986, pendant les manifestations contre la loi Devaquet, à Strasbourg, les étudiants les moins mobilisés et qui se plaignaient le plus d’avoir leurs cours et leurs révisions perturbés étaient à… l’Institut d’Études Politiques ! Cherchez l’erreur !
Est-ce pour cela qu’Emmanuel Macron a décidé de remplacer l’ENA par un Institut du service public ? Parce que la haute administration forme plus des fonctionnaires que des réformateurs de la société ? Il est vrai que si on y apprend effectivement les rouages de notre administration, c’est souvent au prix d’un formatage des esprits et de la création d’une caste au sein de laquelle se partage le pouvoir, même dans le secteur privé. Par exemple, un énarque qui a œuvré dans la haute administration possède un excellent carnet d’adresses et sait éventuellement s’accommoder d’une bureaucratie qu’il a contribué à forger. Une grande entreprise ou une banque, même d’affaires (suivez notre regard) lorgnera naturellement sur un tel profil. Exit l’ENA, donc, avec en sus une volonté d’ouvrir la haute fonction publique aux plus défavorisés et aux minorités, initiative heureuse si elle ne se transforme pas en discrimination positive de type ethnique ou sociale, au détriment des plus compétents et méritants.
Autrefois considéré comme l’antichambre de l’ENA, Sciences Po Paris a suivi la même évolution, servant d’exemple aux multiples Instituts d’études politiques (la version provinciale de Sciences Po) qui ont tellement proliféré que le prestige de l’institution en a pris un sérieux coup. Science Po est devenu une place forte de l’indigénisme, du décolonialisme, et en définitive d’une forme de révisionnisme historique.
Science Po, ce fut pendant des décennies une sorte de prolongement du lycée visant à apporter aux étudiants une culture générale leur permettant de comprendre la société, l’environnement, le monde dans lesquels ils évoluent. Telle est la vocation des sciences politiques comme le droit, l’économie, l’histoire, la géographie, les institutions, les technologies, le climat… Mais hier comme aujourd’hui, cette école de la République autrefois si prestigieuse n’a jamais récompensé l’initiative, l’imagination, l’engagement personnel, autant de qualités qui sont pourtant indispensables à faire vivre et évoluer un pays, a fortiori à le diriger.
La prime aux imbéciles sachants
On peut réussir Science Po sans jamais avoir regardé un film au cinéma, lu un roman, visité un musée ou être allé à un concert. En revanche, il faut ingurgiter une masse d’informations dont l’immense majorité n’aura aucune utilité pratique, ni même intellectuelle. Aujourd’hui, la situation a empiré, donnant le sentiment que la République veut former des cadres qui se fondront encore plus intimement dans le moule de la docilité : seules importent les notes obtenues par des bêtes à concours.
À Science Po plus qu’ailleurs, le bon sens et l’intérêt général commanderaient de tenir le plus grand compte, non pas de l’origine ethnique ou géographique du candidat (un tel favoritisme, dont Sciences Po « fête » les vingt ans des Conventions Éducation Prioritaire créées par feu Richard Descoings, serait en définitive une forme de discrimination raciale), mais de leurs activités extrascolaires, au bénéfice de la société, du vivre ensemble, de la citoyenneté. Entre un élève qui obtient 19/20 après des mois de bachotage intensif, et celui qui obtient 16 alors qu’il a mis en œuvre des actions concrètes et utiles que l’on aurait normalement attendu des pouvoirs publics, il ne devrait pas y avoir photo. Et il n’y en a pas : le bachoteur sera retenu et le créateur écarté ! C’est absurde.
Nous avons donc rencontré quelques jeunes victimes de cette absurdité et recalés dans leurs espoirs par Parcours Sup. Leur point commun était effectivement leur engagement civique : non pas l’encartement ou le militantisme partisan, mais l’action de terrain, notamment au bénéfice de catégories en souffrance, comme les étudiants qui ont subi de plein fouet les effets des confinements et autres restrictions résultant de la crise du Covid.
Mesdames, Messieurs les professeurs de Sciences Po et leurs chers élèves, savez-vous qu’en France un jeune peut créer une association dès l’âge de… 14 ans. Cet étudiant le savait, lui qui a déjà mobilisé ses concitoyens et espérait apprendre à Sciences Po les rouages profonds de la société !
Les effets pervers de Parcoursup
En 2018, Parcoursup a remplacé un stupide et injuste mécanisme de tirage au sort mis en place sous l’égide de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale de François Hollande, qui considérait manifestement que « mérite » est un gros mot. Mais d’une bonne idée a émergé un monstre froid aux effets pervers : chaque élève peut formuler dix vœux d’orientation, ce qui génère nécessairement une offre pléthorique. À Science Po Paris, on est passé de 2 000 candidats en 2017 à plus de 15 000 en 2021, un chiffre qui a doublé par rapport à 2020 ! Pour traiter cet afflux de demandes, les dossiers sont traités par des algorithmes simplistes qui relèvent plus de la bêtise humaine que de l’intelligence artificielle. Peut-on même qualifier d’algorithme un processus qui se contente pour l’essentiel de faire la moyenne des notes de l’élève ? Ça s’appelle au mieux une calculatrice ou un tableur !
Les pouvoirs publics prendront-ils conscience des dérives de Parcoursup et redonneront-ils voix au chapitre à la vraie intelligence, celle qui ne se résume pas à la capacité à apprendre par cœur ? La question mérite en tout cas de figurer au menu de la prochaine campagne présidentielle. Sans doute faudrait-il aller au-delà : le bac pour tous a été une folie (merci Chevènement) qui oblige à dimensionner l’université en fonction de la masse des étudiants de première année, dont la plupart n’iront pas plus loin. Mais n’en demandons pas trop, pour le moment du moins…
Michel Taube
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