Le jeudi 10 juin seront décernés les Cas d’OR du numérique aux entreprises françaises et aux départements et organisations du secteur public qui développent les meilleures pratiques de services en ligne. C’est la première fois que les Cas d’OR distinguent le service public, très sollicité, mais parfois aussi critiqué depuis le début de la pandémie de Covid-19. Que sont ces Cas d’OR et pourquoi aujourd’hui le service public ? Deux questions (parmi d’autres) qu’Opinion Internationale a souhaité poser à Pascal Gayat, créateur des Cas d’OR en juillet 2019.
Les Cas d’OR, quèsaco ?
Les Cas d’OR sont des distinctions décernées par un jury hétéroclite, représentatif d’une chaine de valeur. Par exemple dans le jury des Cas d’OR du service public numérique figurent des députés, des responsables de services publics, de collectivités territoriales, tout comme des personnalités de l’entreprise.
Nous avons décerné 200 Cas d’OR en 2019 et autant en 2020 à des acteurs de la publicité, de la communication, du marketing, du e-commerce et plus généralement du digital. Outre le service public, nous nous intéressons à la Cybersécurité, au Digital Responsable, au Digital Retail, à la publicité locale ou à la vidéo numérique… Le focus est mis sur les réussites opérationnelles, notamment en matière de process de transformation numérique et de dispositifs innovants.
Ce que nous célébrons, ce sont les cas d’usage, c’est le fait de faire quelque chose de concret. Les Anglo-saxons le font très bien depuis longtemps en décernant ce qu’ils appellent des Business Awards.
Vous évoquiez les Anglo-Saxons, mais vous qui êtes au cœur du système numérique en France, pensez-vous qu’il existe un esprit français qui serait plutôt un frein à l’innovation ?
Il y a un phénomène générationnel assez paradoxal. Je suis professionnel et dirigeant d’entreprise du numérique depuis 1995. J’ai plus de 50 ans aujourd’hui, l’âge de la plupart des dirigeants de beaucoup d’entreprises. Et pourtant, on constate bien une vraie problématique d’appréhension du numérique par « les grands de ce monde ». En parlant de la logique française, il va falloir attendre qu’une génération soit complètement imbibée de la chaîne de valeur associée au numérique. On commence à peine à voir poindre les « digital natives », ces personnes qui ont grandi, ont étudié et qui ont eu la première partie de leur carrière professionnelle associée au numérique. Mais on n’est pas encore si loin du mulot de Jacques Chirac !
Le Grand Challenge, c’est que La France est aujourd’hui 17ème sur les 27 pays de l’UE en termes de développement numérique, sous la moyenne générale, alors qu’on a la puissance de feu et l’un des deux marchés domestiques les plus importants !
Quels sont les meilleurs exemples en Europe ? On évoque souvent l’Estonie…
Elle en fait partie. Les Scandinaves sont encore plus développés que l’Estonie. Leur adaptation aux technologies numériques est bien plus rapide que la nôtre. Par exemple, leurs sites de e-commerce permettent de payer en de multiples monnaies et offrent souvent la livraison gratuite dans le monde entier dès leur ouverture. Nous avons encore quelques difficultés à le proposer en France, ce qui handicape le déploiement à l’international. Spotify, la plus grande plateforme de streaming musical, est suédoise. Mais dans ce domaine, la France est présente avec Deezer. Il faut aussi mentionner les Pays-Bas, qui ont le plus fort taux de connexion Internet. Ils sont également parvenus à imposer un système de paiement électronique indépendant des consortiums de cartes bancaires.
Au-delà de l’informatique et de l’Europe, les pays qui réussissent sont souvent ceux qui ont instauré une étroite coopération entre l’université, la recherche et le monde de l’entreprise, comme les États-Unis, notamment dans la Silicon Valley, ou Israël. Où en sommes-nous ?
Nous devons totalement repenser notre modèle d’innovation, il doit être principalement alimenté par la commande publique et celle des grandes entreprises. Un modèle d’Innovation efficace s’appuie sur la coopération entre l’université et l’entreprise, entre le public et le privé. En France, on a encore cette problématique du rapport à l’argent et des silos décisionnels qui nous empêchent d’avancer. En gros, faire de l’argent, c’est pas beau ! D’où une importante fuite des cerveaux et des initiatives, notamment vers les États-Unis, où ces préjugés n’existent pas.
À l’opposé, la logique financière est trop prégnante dans le monde anglo-saxon. Les entreprises qui sont mises en avant sont celles qui ont levé beaucoup d’argent. Actuellement on est très influencé par le modèle américain.
Mais je suis la preuve vivante, et également le témoin vivant que des centaines d’entreprises en France dans le domaine du numérique réalisent des millions d’euros de chiffre d’affaires depuis plus de vingt ans sans avoir été obligées de passer par le prisme de la levée de fonds qui génère de la visibilité certes, mais pas de la résilience.
Pourquoi distinguer le service public du numérique lors de la prochaine remise des Cas d’OR ?
La crise du Covid a agi comme un révélateur et un booster. Beaucoup d’acteurs ont réagi de manière très agile en région, dans les collectivités territoriales ou dans d’autres services publics, en bonne intelligence avec des acteurs du privé.
Ce sont 20 partenariats public-privé qui seront mis en avant et qui démontrent que l’État, l’administration, les collectivités territoriales peuvent faire confiance à l’écosystème numérique de France et d’Europe.
Les enjeux de souveraineté, quels sont-ils ?
La dépendance vis-à-vis de la Chine, entre autres pour les masques au début de la crise, a ouvert les yeux. Dans le numérique, nous dépendons trop de l’Asie pour le hardware et des États-Unis pour le software. L’extraterritorialité du droit américain, notamment le Cloud Act, renforce la nécessité d’une souveraineté numérique, française ou européenne. L’approche juridique, avec le RGPD, ne suffit pas à empêcher la fuite des données dès lors que l’on se base sur des services non européens, en particulier américains.
Les Américains savent développer du partenariat, nouer des alliances. J’ai travaillé pendant 10 ans pour eux, principalement chez Yahoo! jusqu’à 2005, avant de mener la deuxième partie de ma carrière plutôt avec des acteurs européens. Et effectivement, nous avons de belles leçons de marketing, d’influence, de développement commercial et de financement de l’innovation à recevoir des Américains.
Mais nous avons aussi des capacités de développement considérables pour les vingt ans qui viennent. Il suffit aux professionnels du numérique que nous célébrons dans les Cas d’Or de répondre à l’obligation quasiment structurelle d’avoir le regard le plus large possible sur leur environnement, bien au-delà sur du secteur informatique. Car la transformation numérique est l’affaire de tous, et les créneaux de leadership futur sont à trouver dans les usages qui se développeront à grande échelle, nous sommes tout à fait capables de les imaginer.
Avec la Covid, nous avons assisté à un boom du télétravail et de la télémédecine, en attendant celui de la médecine connectée. N’est-ce pas dans ces innovations qu’il y a des places à prendre, plutôt que de chercher à vouloir faire un Google français ou européen ?
Mise à part la problématique de la souveraineté numérique qui devrait nous obliger à redéployer des services essentiels, du type des moteurs de recherche et des services de cloud, le B2B offre effectivement un large potentiel de développement. La France compte déjà de belles entreprises comme Dassault Systèmes ou Thalès qui sont au CAC 40. Elles sont aussi les plus souveraines dans l’approche business et sont tout à fait capables d’avoir un leadership mondial sur leurs créneaux.
Je pense que c’est le rôle des entreprises du CAC 40 d’accompagner ce mouvement, pour que dans vingt ans, elles soient rejointes par des start up du numérique. J’ai mentionné Dassault Systèmes et Thalès. Je citerais aussi Atos et Capgemini. Il nous manque deux ou trois gros éditeurs de solutions technologiques au CAC40.
Les Cas d’OR ont également le mérite de permettre des rencontres entre tous les acteurs du marché, de faciliter la diffusion des idées, d’encourager l’innovation et de pointer les domaines où nous devons nous imposer, ne serait-ce que pour préserver ou réacquérir notre souveraineté. D’où l’importance de ces Cas d’OR des services publics du numérique.
Il y aura bientôt des élections régionales puis présidentielles. Le vote en ligne peut-il être une réponse à l’abstention et sommes-nous techniquement prêts à l’adopter ?
Les Estoniens ont donné l’exemple, avec d’excellents taux de participation. Il y a un travail à faire pour que la représentativité digitale puisse être la plus importante possible. Elle peut être accompagnée par des ambassadeurs numériques dans les régions, dans les collectivités. Un projet a été lancé autour du Point service numérique pour que partout, les administrés puissent avoir accès à un point de connexion et des compétences, qui pourrait fort bien offrir un point de vote en ligne. Je suis persuadé qu’on aurait des taux d’abstention nettement inférieurs par le biais d’un vote en ligne. Dans les élections des chambres de commerce, on vote en ligne. C’est une question de volonté politique et non de faisabilité technique.
Décerneriez-vous un Cas d’OR à Emmanuel Macron, qui voulait (le veut-il encore ?) faire de la France une Start up nation ?
Pas encore. Par contre, je remettrai un Cas d’OR à la French Tech qui s’est construite à partir de 2012. J’ai l’occasion de travailler justement dans des contextes interculturels avec les pays scandinaves, et il est clair qu’il y a une vraie valorisation de l’attractivité de la France à l’étranger sur les problématiques de montée en charge de l’innovation numérique.
Propos recueillis par Raymond Taube, rédacteur en chef d’Opinion Internationale et directeur de l’IDP – Institut de Droit Pratique
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